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reste toujours quelque chose, — les plus fameux gastronomes de l’autre siècle.

La société se modèle en général sur le chef de l’État. Napoléon n’était pas gourmand, mais il voulait que tout grand fonctionnaire de l’Empire le fût. « Ayez bonne table, disait-il, dépensez plus que vos appointements ; faites des dettes, je les payerai. »

Et, en effet, il les payait.

Ce qui empêcha peut-être Bonaparte de devenir gourmand, ce fut l’idée qui le poursuivit constamment, que vers trente-cinq ou quarante ans il deviendrait obèse.

« Voyez, Bourrienne, combien je suis sobre et mince, disait-il ; eh bien ! on ne m’ôtera pas de l’idée que je deviendrai gros mangeur et que je prendrai beaucoup d’embonpoint ; je prévois que ma constitution changera, et pourtant je fais assez d’exercice ; mais que voulez-vous ? c’est un pressentiment, cela ne peut manquer d’arriver. »

Loin qu’il ait enrichi le répertoire gastronomique, on ne doit à toutes ses victoires qu’un plat, c’est le poulet à la Marengo. Bonaparte buvait peu de vin, toujours du vin de Bordeaux ou du bourgogne ; cependant il préférait ce dernier. Après son déjeuner comme après son dîner, il prenait une tasse de café.

Il était irrégulier dans ses repas, mangeait vite et mal ; mais là se retrouvait cette volonté absolue qu’il mettait à tout : dès que l’appétit se faisait sentir, il fallait qu’il fût satisfait ; et son service était monté de manière qu’en tous lieux et à toute heure on pouvait lui présenter de la volaille, des côtelettes et du café.

Son plus grand plaisir, c’est-à-dire celui qu’il laissait le plus paraître, c’était, après une longue et pénible dictée, de sauter sur un cheval, de lui lâcher la bride et de s’élancer à fond de train.

Il déjeunait dans sa chambre, à dix heures, invitant presque toujours les personnes qui se trouvaient près de lui.

Bourrienne, son secrétaire, pendant les quatre ou cinq ans qu’il a passés avec lui, ne l’a jamais vu toucher à plus de deux plats.