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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/74

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Grand’Manche voulut remplacer les boulettes par des quenelles de volaille, de crêtes et de rognons, le croiriez-vous ? le prince se fâcha tout rouge et exigea ses boulettes de godiveau à l’ancienne, qui étaient dures à casser les dents : lui les trouvait délicieuses. Pour hors-d’œuvre, on lui donnait fréquemment un morceau de croûte de pâté réchauffée sur le gril, et on portait sur sa table le combien d’un jambon qui avait souvent servi toute la semaine. Et son habile cuisinier, qui n’avait jamais les grandes sauces ! ni les sous-chefs ou aides, la bouteille de bordeaux ! Quelle parcimonie ! quelle pitié ! quelle maison !

« Qu’elle était différente, la digne et grande demeure du prince de Bénévent ! confiance entière et complétement justifiée dans le chef de la cuisine, l’un des plus illustres praticiens de nos jours, l’honnête M. Bouché. On n’y employait que les productions les plus saines et les plus fines. Là tout était habileté, ordre, splendeur ; là le talent était heureux et haut placé. Le cuisinier gouvernait l’estomac ; qui sait ? il influait peut-être sur la charmante, ou active, ou grande pensée du ministre. Des dîners de quarante-huit entrées étaient donnés dans les galeries de la rue de Varennes. Je les ai vu servir et je les ai dessinés. Quel homme était ce M. Bouché ! quels tableaux n’offraient pas ces réunions ! Tout y décelait la plus grande des nations. Qui n’a pas vu cela n’a rien vu !

« Ni M. Cambacérès, ni M. Brillat-Savarin n’ont jamais su manger. Ils aimaient tous deux les choses fortes et vulgaires, et remplissaient tout simplement leur estomac ; c’est à la lettre. M. de Savarin était gros mangeur, et causait fort peu et sans facilité, ce me semble ; il avait l’air lourd et ressemblait à un curé. À la fin du repas, sa digestion l’absorbait ; je l’ai vu dormir. »

Achevons le portrait. Brillat-Savarin n’était ni un gastronome ni un gourmet, mais tout simplement un vigoureux mangeur. Il était de l’intimité de Mme Récamier ; de grande taille, sa démarche lourde, son air vulgaire, avec son costume de dix ou douze ans en retard sur la mode, le faisaient appeler le tambour-major de la Cour de cassation.

Tout à coup, et une douzaine d’années après sa mort, nous