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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/75

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avons hérité d’un des plus charmants livres de gastronomie qu’on puisse rêver, de la Physiologie du goût.

Grimod de la Reynière était un des héros de cette époque. Très-jeune, un accident terrible l’avait privé de ses mains ; à force de combinaisons, il était parvenu à faire des débris qui lui restaient des moyens aussi souples qu’auraient pu l’être ses mains mêmes. Fort élégant dans sa jeunesse, il avait été présenté à Ferney et avait vu Voltaire. Sa santé était solide, son estomac inébranlable ; il est mort à quatre-vingts ans, ce qui a permis à son neveu, M. le comte d’Orsay, de me présenter à lui. Il nous retint à dîner, et nous donna un des meilleurs dîners que je me rappelle avoir mangés.

C’était vers 1834 ou 1835.

Le père de Grimod de la Reynière était d’autant plus fier de sa noblesse, qu’il l’avait achetée au garde des sceaux de France en personne.

Quant au fils, dont la réputation comme gourmand et comme homme d’esprit était connue, il se souvint toujours, et peut-être un peu trop, qu’il était le fils d’un fermier général, lequel était lui-même fils d’un honnête charcutier.

Fils peu respectueux, frondeur impitoyable, il ne cessait en toute occasion d’humilier ses parents, en leur rappelant l’humble origine de leur fortune et l’antique roture de leur famille.

Un jour il invita à dîner, pendant l’absence de son père et de sa mère, une nombreuse compagnie, composée de convives choisis dans toutes les espèces de corps d’état, tailleurs, bouchers, etc.

Les billets d’invitation portaient que du côté de l’huile et du cochon les convives n’auraient rien à désirer.

Et de fait, tout un service se trouva uniquement composé de charcuterie, et avait-il grand soin de dire :

« C’est un de mes parents resté dans l’état qui me fournit ces viandes. »

Les gens de service étaient des Savoyards pris au coin de la rue et bizarrement travestis en hérauts d’armes du moyen âge. Aux quatre coins de la salle à manger, se tenaient des enfants