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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/85

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62 LETTRE

On mangea donc beaucoup sous la régence de M. le prince ; mais on ne mangea pas bien.

Un homme d’esprit, médecin homœopathe, me disait un jour qu’on trouve dans les variations de la nourriture des peuples les différentes phases médicales.

Ainsi, sous Louis XIV, époque pendant laquelle la France se nourrit d’une manière incrassante, où le café n’est pas encore en usage, où le thé n’est pas à la mode, où le chocolat est à peine inventé, on engraisse, et toute maladie, disent les médecins, vient des humeurs.

Alors arrive la médecine de M. Fagon.

Inutile de dire que le Fagon de Louis XIV et le Purgon de Molière, c’est le même homme : saigner, purger, clysterium donare.

Louis XIV se purgeait deux fois par mois, ce qui lui débarrassait en même temps l’estomac et la tête, et le rendait de si belle humeur, que c’était le 15 et le 30, au sortir de ses waterclosets, que les solliciteurs l’attendaient avec leurs placets.

Cette médecine dura tant bien que mal une centaine d’années.

Puis vint un homme de génie, qui fit à la fois la gloire et le malheur de la France.

Napoléon Ier.

Il tomba : cinquante mille officiers se répandirent alors sur la surface de la France, n’ayant plus d’avenir que celui des conspirations, le sang brûlé par la haine, et s’occupant à renverser le gouvernement tout en buvant du café, de l’eau-de-vie et du punch.

Alors parut Broussais, homme de génie s’il en fut, qui, de même que Fagon avait dit : tout est dans les humeurs, purgeons ; dit : tout est dans le sang, saignons.

Et il saigna, et pendant toute une période on saigna ces conspirateurs au sang brûlé par la haine, par le punch et le café ; on saigna non-seulement avec la lancette, mais avec le poignard, mais avec le fer de l’échafaud.

Au règne de Louis XVIII, la Chambre introuvable fut presque une période de la Terreur. Seulement on l’appela la Terreur blanche.