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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/84

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A JULES JANIN. 61

La galanterie de Barras a-t-elle rejailli sur sa réputation? Les femmes l’ont pris sous leur protection, et, du directeur et du général, est resté l’élégant, le beau Barras. De sa corruption, des millions qu’il a soutirés à la France, il n’en a point été question.

Que d’absolutions il y a de cachées sous ces mots :

« Mettez des coussins sous les sièges des citoyennes Tallien, Talma, Beau harnais, Hainguerlot et Mirande. »

Mlle Contat se fit une réputation de maison élégante, en ordonnant de servir les plats chauds dans des assiettes chaudes.

Le long règne de Louis XV fut monotone comme cuisine. M. de Richelieu jeta seul quelques variétés sur ces parfums, sur ces fleurs, sur ces fruits toujours les mêmes ; il inventa les boudins à la Richelieu, les bayonnaises, que nos restaurateurs s’obstinent à appeler des mahonnaises, sous prétexte qu’elles ont été exécutées la veille ou le lendemain de la prise de Mahon.

Il est vrai que nous avons eu à côté de cela la sauce Béchamel et les côtelettes Soubise.

Cela parut d’autant plus long, que l’on sortait de cette spirituelle époque présidée par le régent, où tout le monde était jeune, avait de l’esprit et un bon estomac.

La régence fut l’époque charmante de la France : pendant sept ou huit ans, on vécut pour boire, aimer, manger ; puis un beau soir que le régent causait avec Mme de Falaris, son petit corbeau, comme il l’appelait, le régent, se sentant la tête lourde, la posa sur l’épaule de la belle courtisane en lui disant :

« Croyez-vous aller en enfer, ma belle amie ?

— Si j’y vais, j’espère bien vous y retrouver, » dit-elle.

Le régent ne répondit pas.

Il y était !

Le régent mort, le prince lui succéda : c’était un vilain borgne, venant du mauvais côté de la maison de Condé ; il avait reçu de la nature cette somme de vertus qui empêche les princes d’être pendus, non point parce qu’ils sont honnêtes gens, mais parce qu’ils sont princes. Lui et sa maîtresse, la fille du traitant Pléneuf, mirent à peu près un an à manger ce qui restait d’argent dans les coffres de la France ; puis, comme l’argent manquait, ils se mirent à manger la France elle-même.