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Et qui, voyant en moi son seul appui sur terre,
N’a pas su contenir sa joie involontaire.
Grâce…

CHRISTINE.

Grâce… Mais vous prenez un inutile soin.
Grâce pour lui, marquis ? il n’en est pas besoin.
Parmi vos serviteurs j’aime à voir qu’on vous aime.
Pour vous comme pour moi le danger fut extrême :
Heureusement qu’à moi vous avez eu recours,
Et n’avez point lâché ma robe de velours ;
Vous saviez que jamais ne se noie une reine…

SENTINELLI.

Et nous savons aussi qu’à notre souveraine
À la vie, à la mort il était attaché…

CHRISTINE.

On a des concetti, monsieur, à bon marché ;
Les amis sont plus chers.

MAGNUS DE LA GARDIE, s’approchant.

Les amis sont plus chers. Mais cette catastrophe…

CHRISTINE, sèchement et l’interrompant.

Vous avez un pourpoint d’une admirable étoffe,
Qui vous sied à ravir, mais qu’un rien doit souiller.
Vous avez fort bien fait de ne le pas mouiller,
Comte Magnus. — Mais Dieu m’aurait-il par un ange
Fait tirer du péril ?… car ce sauveur étrange
Est invisible. — Oh ! si c’était quelqu’un de vous,
J’aurais déjà heurté son front de mes genoux.

LE BARON DE STEINBERG.

Ne vous étonnez pas, Majesté. — Je soupçonne
Que mon neveu, sachant que près votre personne
Je suis l’introducteur de tout noble étranger,
À la formalité ne veut pas déroger.

CHRISTINE.

Quoi ! c’est votre neveu qui m’a sauvé la vie ?

LE BARON DE STEINBERG, embarrassé.

L’étiquette par lui n’a pas été suivie
En cette occasion : mon neveu, Majesté,
Vous vit et vous parla sans être présenté ;
Mais vous pardonnerez ; dans ce péril extrême,
Il a cru qu’il pouvait se présenter lui-même.

CHRISTINE.

Et je l’en remercie. — Où donc est-il ? — Eh bien !
Beau cavalier, venez, vous me craignez donc bien !
Votre témérité de faiblesse est suivie ;
Vous étiez plus hardi pour me sauver la vie.

STEINBERG.

Madame, pardonnez, mais tremblant et surpris,
Il me semble qu’un rêve agite mes esprits ;
Et je crains que soudain l’illusion s’envole
Si je quitte ma place ou dis une parole ;
Je doute, je me touche…

CHRISTINE.

Je doute, je me touche… Après cet examen,
De vos lèvres, monsieur, touchez aussi ma main ;
Vous ne douterez plus. — À votre accent, je pense
Que vous êtes Français. — Çà, quelle récompense
A méritée l’enfant d’un pays si lointain,
Qui vient au nôtre exprès pour heurter le destin ?
Sans lui, — c’en était fait, vous n’aviez plus de reine.
Entendez-vous, messieurs ?

MONALDESCHI.

Entendez-vous, messieurs ? Oh ! notre souveraine
Avec lui ne doit pas s’acquitter à demi.

LA GARDIE.

Des titres.

SENTINELLI.

Des titres. Des honneurs.

CHRISTINE.

Des titres. Des honneurs. Il sera notre ami,
D’abord… puis, s’il veut moins, il pourra prendre ensuite
Tel rang qu’il lui plaira parmi vous à ma suite…
Donc, vous venez de France ?

STEINBERG.

Donc, vous venez de France ? Oui, reine.

CHRISTINE.

Donc, vous venez de France ? Oui, reine. Voulez-vous
Nous dire en ce pays ce qu’on pense de nous ?

STEINBERG.

Que votre règne est beau, sublime, grandiose.

CHRISTINE.

Oh ! que c’est fatigant, toujours la même chose !…
Il semble pour louer qu’ils ont tous même voix.
Descartes, asseyez-vous, vous souffrez, je le vois.
Et notre frère Louis ?

STEINBERG.

Et notre frère Louis ? Oh ! contre la régence
D’Anne d’Autriche tout paraît d’intelligence ;
Par qui doit l’étouffer le trouble est fécondé.
C’est toujours Mazarin, et c’est toujours Condé,
Disputant le pouvoir aux deux côtés du trône,
Et sur le front de Louis tiraillant sa couronne.
Contre le Mazarin aujourd’hui de retour,
Condé, le roi d’hier, et l’exilé du jour,
Ramène l’Espagnol qu’il combattit naguère..

CHRISTINE.

Condé fait une tache à son harnois de guerre.
Ah ! que si la régente avait, en temps et lieu,
Su frapper et punir !… — Et pourtant Richelieu,
Ministre à robe rouge et prêtre au cœur de bronze,
Pour Louis Quatorze avait continué Louis Onze.
Il comprenait le trône, et que ses quatre pieds
Au front des grands vassaux se trouvant appuyés,
Mal assortir leur taille étaient puissantes fautes ;
C’est pour ce qu’il passa sur les têtes trop hautes
La hache du bourreau comme un niveau de plomb.
Il fit gîter le trône en le mettant d’aplomb.

(Se levant.)

Que si j’avais été la régente de France,
Dès que j’eusse des grands soupçonné l’espérance,
En appelant contre eux à mon peuple loyal,
J’aurais conduit le roi sur son balcon royal ;
Puis, ramenant à moi ma puissance usurpée,
Couvrant mon noble enfant d’une lame d’épée,
En nous montrant tous deux, j’aurais dit sans effroi :
Celle-ci c’est la reine, et celui-là le roi.

(S’asseyant.)

À tout prendre, échappant à la guerre civile,
Quand le bruit du tocsin décroît dans chaque ville,
Un peuple est bien heureux, — car, après cet effort,
Son siècle va marcher et plus large et plus fort,
Le baptême de pleurs a rajeuni sa tête :