Que souvent tu m’as dit, d’un doux transport saisi :
Que je serais heureux si j’expirais ainsi !
Si je pouvais mourir alors que je la touche,
D’un poison lentement épuisé sur ta bouche,
Et passer dans tes bras, et les yeux sur les yeux,
Du sommeil à la mort, et de la terre aux cieux !…
Pendant ces courts instants, délire qui dévore !
Je ne disais rien, moi ! mais je suis prête encore ;
Cinq ans se sont passés, j’ai toute ma raison ;
Je suis prête, te dis-je, — et voici du poison.
Du poison !… Et sais-tu quelle affreuse souffrance
Peut causer le poison ?… Non ; j’ai quelque espérance.
Elle voudra me voir avant de me frapper ;
Eh bien ! si d’ici là je ne puis m’échapper,
Il me reste l’espoir que dans cette entrevue
Je toucherai son cœur… Mourir sans l’avoir vue
Serait au désespoir trop tôt s’abandonner ;
Elle est femme, elle m’aime, elle peut pardonner.
Non, non ; plus tard, plus tard !… à mon heure dernière,
Quand le prêtre sera là, — faisant sa prière, —
Quand le monde pour moi n’aura plus de secours,
Alors à ce poison, crois-moi, j’aurai recours.
Donne-le-moi… Paula.
Tiens !…
Mon esprit se trouble.
Le poison est caché dans cette bague double ;
Quand l’un de ces anneaux sera tari par toi,
Que je reçoive l’autre, et c’est tout ; — attends-moi.
Ah ! Paula !
Moi qui suis près de toi la plus jeune par l’âge,
Mais dont le cœur longtemps à tous les maux offert,
Est plus vieux que le tien pour avoir plus souffert,
Je veux te consoler et calmer ta souffrance
En te parlant de mort, de ciel et d’espérance.
Notre vie ici-bas, ami, n’est qu’un chemin ;
La joie ou la douleur nous y prend par la main,
Et nous conduit au bout, où nous attend la tombe ;
Notre corps fatigué de tout son poids y tombe ;
Mais l’âme toujours jeune à sa source revient,
Et de l’éternité tout à coup se souvient !…
À moins qu’un crime affreux de son poids ne l’entraîne,
Et dans la tombe avec notre corps ne l’enchaîne ! —
Mais de ton crime, à toi, ne sois pas alarmé ;
Tu trahis, il est vrai, qui t’avait tant aimé ;
Tu déchiras le cœur qui, dans son innocence,
Faible et tendre, s’était remis en ta puissance.
Ami… que tout s’efface et s’oublie entre nous,
Hors les jours de bonheur et de joie… ! — À genoux,
En vertu du pouvoir que le malheur me donne ;
Au nom du Dieu vivant, au mien, je te pardonne !
C’est un instant… Que Dieu veuille te secourir…
Plus calme maintenant, lève-toi pour mourir ; —
Car on vient…
Oh ! déjà ! déjà cesser de vivre !…
Scène III.
C’est moi, marquis. — Eh bien ! es-tu prêt à me suivre ?
Sa Majesté t’attend.
Allons, je ne dois point perdre encor tout espoir !
Marchons, je vous suis.
Paula, n’as-tu pas vu passer comme deux ombres ?
Si l’on avait sur moi de sinistres desseins !
Si l’on m’attendait là !…
— Ce sont des assassins !
Eh bien ! marquis ?
Cours, tombe à ses genoux, supplie, implore, abjure,
Qu’elle vienne ! Dis-lui que j’attends en ce lieu…
Qu’elle vienne !… Je l’en supplie au nom de Dieu.
Dis que je veux la voir, qu’il faut que je lui parle,
Que j’ai de grands secrets à révéler, que Charle
Saurait bien me venger. Non, ne dis pas cela :
Dis tout ce que tu crois qu’il faut dire, Paula ;
Fais ce que tu pourras pour que son dessein change ;
Pars, mon libérateur, mon seul ami, mon ange !
Ne va pas m’oublier aux mains de mon bourreau.
Et vous, n’oubliez pas de m’envoyer l’anneau !
Scène IV.
J’attends.
Accordez-moi quelques minutes, comte.
La reine veut, monsieur, une réponse prompte.
Lui dirai-je que vous hésitez à venir,
De peur que sa justice ait trop tôt à punir ?
Non, car je ne crains rien, — rien, comte, — sur mon âme ;
Mais je veux accomplir quelques soins que réclame
Le moment.
Ces soins ; mais promptement avec eux finissez,
Car elle attend.
Il faut que j’écrive à ma mère.