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PRÉFACE.

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« Et en ce temps, an chevalier nommé messire Charles de Savoisy, par un de ses pages qui chevauchait un cheval, en le venant de mener boire à la rivière, le cheval esclabouta un escollier, lequel avecques les autres allait en procession à Ste-Katherine, et tant que l’escollier frappa ledit page : et alors les gens dudit chevalier saillirent de son hôtel embastonnés, poursuivant lesdits escolliers jusques à Ste-Katherine ; et un des gens dudit chevalier tira une flèche dedans l’église, jusques au grand autel où le prêtre chantait messe, donc pour ce faict l’université fit telle poursuite à l’encontre dudit chevalier, que la maison d’icelui chevalier fut abattue, et fut ledit chevalier banny hors du royaume de France, et excommunié. Et s’en alla devers le pape, lequel l’absolut, et arma quatre gallées, et s’en alla par mer faisant guerre aux Sarrazins, et là gaigna moult d’avoir. Puis retourna et fut faicte sa paix, et refit son hôtel à Paris tel comme il était paravant ; mais il ne fut pas parachevé, et fit faire son hôtel de Signelay ( Seignelais ) en Auxerrois moult bel, par les Sarrazins qu’il avait amenés d’outremer ; lequel châtel est à trois lieues d’Auxerre. »

Chronique du roi Charles VII, page 5, par maître Alain Chartier, homme très-honorable.

Je cherchais la matière d’un drame ; il y en avait un dans ces vingt lignes : je le pris.

Il se présenta à mon esprit sous une forme classique : je l’adoptai.

Le théâtre est avant toutes choses de fantaisie ; je ne comprends donc pas qu’on l’emprisonne dans an système. Un même sujet se présentera sous vingt aspects divers à vingt imaginations différentes : tracez des règles uniformes, forcez ces imaginations de les suivre, et il y a cent à parier contre un que vous aurez dix-neuf mauvais ouvrages : laissez chacun prendre son sujet à sa guise, le tailler à sa fantaisie ; accordez liberté entière à tous, depuis les douze heures de Boileau jusqu’aux trente ans de Shakespeare, depuis le vers libre de Jodelle jusqu’à l’alexandrin de Racine, depuis les trilogies de Beaumarchais jusqu’aux proverbes de Théodore Leclercq ; et alors chaque individu flairera ce qui conviendra le mieux à son organisation, amassera ses matériaux, bâtira son monde à part, soufflera dessus pour lui donner la vie, et viendra, au jour dit, avec on résultat sinon complet, du moins original ; sinon remarquable, du moins individuel.

Convaincu de cette vérité, j’ai donc pris les formes classiques, qui pour cette fois m’allaient, et j’ai verrouillé mes trois unités dans les dix pieds carrés de la chambre basse du comte Charles de Savoisy.

Et je dis les trois unités, parce que, selon moi, l’action que l’on croit double est simple. Le tissu et la broderie qui l’enjolive ne font point deux étoffes : Taqoub, Bérengère, le comte, voilà le tissu ; Charles VII et Agnès, voilà la broderie. Le roi vient demander l’hospitalité au vassal ; le vassal la lui accorde, et c’est tout : l’arrivée inattendue de Charles VII complique l’action, mais ne la détourne pas de son but ; et malgré la présence de son hôte