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Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/216

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léon.

Et qu’a-t-elle fait ?

m. de vertpré.

Elle l’y a laissé.

léon.

La preuve ?

m. de vertpré, lui montrant l’anneau.

Le voici.

léon.

Je vois bien un anneau, mais…

m. de vertpré, ouvrant l’anneau.

Regardez.

léon, lisant.

Adèle, Paul.

m. de vertpré.

Sont-ce bien là leurs deux noms de baptême ?

léon, un peu déconcerté.

Je l’avoue, je suis battu.

m. de vertpré.

À un autre !

léon.

Madame de Vertpré a fait faire son portrait.

m. de vertpré.

Ah ! ah !

léon.

Une miniature charmante, d’une ressemblance parfaite.

m. de vertpré.

Après ?

léon.

Eh bien, madame de Vertpré m’a chargé de l’aller prendre chez le peintre, et aujourd’hui, quand je le lui ai rendu, elle m’a demandé comment je le trouvais, de manière à me faire croire…

m. de vertpré.

Quoi ?

léon.

Qu’il ne tarderait pas à être offert à la personne à qui il est destiné.

m. de vertpré.

Et cette personne ?

léon.

C’est ma fête demain, monsieur.

m. de vertpré.

Et la mienne aujourd’hui ; vous voyez qu’on me l’a souhaitée.

(Il lui montre le portrait.)
léon, dans la dernière surprise.

Ah !

m. de vertpré.

Continuez, monsieur.

léon.

Ma foi, s’il en est ainsi… je vais tout vous dire !

m. de vertpré, s’essuyant le front.

Je suis préparé.

léon.

Madame de Vertpré aime la lecture ; souvent, le soir, quand la porte est fermée pour tout le monde, quand Pauline s’est retirée, nous choisissons dans la bibliothèque quelques poésies d’André Chénier ou de Lamartine ; nous ouvrons quelque roman de Nodier ou de Victor Hugo ; et ce sont les pages les plus tendres, les vers les plus délirants que nous cherchons. Puis le livre se ferme, nos paroles succèdent à celles de ces grands auteurs, et elles conservent, sinon le talent, du moins la teinte de leurs ouvrages ; ainsi le temps, si long pour les autres, le temps passe, le temps vole pour nous et…

m. de vertpré.

Et quoi ? Faites-moi donc le plaisir d’achever.

léon.

Minuit sonne.

m. de vertpré.

Minuit sonne…

léon.

Nous nous promettons pour le lendemain une aussi douce soirée… et je me retire.

m. de vertpré.

Eh bien ! moi, monsieur, c’est exactement la même chose, excepté…

léon.

Excepté quoi ?

m. de vertpré.

Excepté que je reste.

léon, s’échauffant.

Monsieur, c’est une infâme calomnie, et vous me rendrez raison de l’insulte que vous faites à la plus pure des femmes !

m. de vertpré.

Très-bien, jeune homme.

léon.

À celle qui, rare entre toutes, n’a pas dans sa vie une pensée coupable à se reprocher… même en rêve !

m. de vertpré.

Bravo !

léon.

De la seule femme enfin de l’honneur de laquelle je répondrais sur ma vie !

m. de vertpré.

Permettez que je vous embrasse.

léon, le repoussant.

Oh ! ne raillons pas, monsieur, vous m’avez offert des preuves, eh bien ! j’en exige à l’instant, à la minute.

m. de vertpré.

Diable ! mais de pareilles preuves sont difficiles à fournir.

léon.

Je vous préviens cependant qu’il m’en faudra, monsieur.