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actions ; et s’il s’écartait de la route du bien, nous serions toujours là pour l’y ramener.

ANNA.

Eh ! si Dieu nous rappelle à lui !

LE DOCTEUR.

Notre ami Mawbray restera pour nous remplacer, et veiller sur notre enfant si elle en a besoin.

MAWBRAY.

J’en prends l’engagement formel devant le ciel.

ANNA.

Allons, je le veux bien. Le ciel a toujours béni ce que vous avez fait.

LE DOCTEUR, embrassant sa femme.

C’est toi qui nous mérites sa bénédiction.


Scène IX.

Les mêmes ; RICHARD.
LE DOCTEUR.

Ah ! tu écoutes aux portes, toi ?

RICHARD.

Pardonnez, mon père, le temps me paraissait long.

ANNA.

Eh bien ! mon ami, nous y consentons.

RICHARD.

Je le savais, ma mère ; mais je ne voulais pas m’ôter le bonheur de me l’entendre répéter de votre bouche. Vous voulez donc que je vous doive tout dans ma vie, mon père !

LE DOCTEUR.

N’avais-tu pas prévu ma réponse ?

RICHARD.

Je craignais que quelque obstacle que je ne connais pas, venant de ma famille ou de ma naissance… Permettez-vous que j’aille annoncer cette nouvelle à Jenny ?

LE DOCTEUR.

Pas encore, mon ami ; tu viens de parler de ta famille et de ta naissance… C’est un sujet dont j’avais toujours évité de m’entretenir avec toi ; je trouvais plus simple, et surtout plus selon mon cœur, de t’appeler mon fils ; car que pouvais-je te révéler, puisque tout était doute et incertitude ; d’ailleurs, j’espérais toujours que quelque événement viendrait jeter du jour sur cette aventure. Puisque le ciel ne l’a pas voulu, que le moment est venu de tout te dire, je vais du moins te raconter ce que je me rappelle. — (À Mawbray, qui pâlit et veut se retirer.) Restez, Mawbray, je n’ai rien à dire dont Richard ou moi ayons à rougir.

RICHARD.

Mon père, je vous écoute.

LE DOCTEUR.

Il y a vingt-six ans, une voiture s’arrêta vers dix heures du soir devant cette même maison. On frappa, j’ouvris… Un homme masqué se présenta, — (Mawbray écoute.) implorant mon secours pour une jeune femme qui l’accompagnait, et qui paraissait arrivée au dernier terme de sa grossesse ; sur la prière de cet homme, et sans qu’il se démasquât, la jeune femme, dont la figure était aussi belle que la voix était douce, fut installée dans la chambre qu’occupe encore aujourd’hui mistress Grey. — (Mawbray paraît vivement ému.) La providence exauça nos vœux, je reçus dans mes bras un enfant que sa mère couvrit de baisers et de larmes… Cet enfant, Richard, c’était toi !

(Mawbray regarde Richard avec tendresse.)
RICHARD.

La voiture qui amena ma mère avait-elle des armoiries ?

LE DOCTEUR, réfléchissant.

En effet, c’eût été un moyen de reconnaissance ; mais, non, je me rappelle qu’elle n’en avait pas.

RICHARD.

Encore une espérance trompée !… Continuez, je vous prie, mon père.

LE DOCTEUR.

À peine ta mère t’avait-elle mis au jour, pauvre enfant, que l’on frappa une seconde fois à la porte : c’étaient des gens de justice qui obéissaient à un homme accompagné du constable ; il me montra un ordre de remettre entre ses mains la jeune dame qui était dans ma maison ; je refusai, il la réclama comme père, et à sa voix, ta mère faible et tremblante vint tombera ses pieds ; l’étranger donna l’ordre qu’on la portât dans sa voiture.

MAWBRAY, à part.

Pauvre Caroline !

RICHARD.

Et mon père, que faisait-il ?

LE DOCTEUR.

Il voulut la défendre, il s’approcha de l’inconnu dans ce but, car il paraissait aimer ardemment ta mère.

MAWBRAY, accablé et à part.

Oh ! oui, ardemment…

LE DOCTEUR.

L’étranger l’arrêta d’un mot que nous ne pûmes entendre : il chancela et tomba anéanti sur ce fauteuil.

(En se retournant, le docteur et Richard aperçoivent Mawbray qui, ne pouvant résister à son émotion, est tombé sur le fauteuil que le docteur indique.)
ANNA.

Qu’avez-vous, Mawbray ?