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LE DOCTEUR.

Et que diable ! dis toujours, j’y suis aussi habitué que toi, et il m’en coûterait plus qu’à toi peut-être de ne plus dire mon fils ; mais pour cela il faut deux choses, l’amour de Jenny…

RICHARD.

Oh ! elle m’aime, mon père, elle m’aime, elle me l’a dit.

LE DOCTEUR.

Et le consentement de sa mère… Sa mère dont vous oubliez les droits, Richard.

RICHARD.

Mon père, j’avais oublié le monde entier, pour ne me souvenir que de Jenny.

LE DOCTEUR.

Richard, dites à ma femme que je l’attends.

RICHARD.

Je vais l’avertir, mon…

LE DOCTEUR.

Eh bien ?

RICHARD.

Mon…

LE DOCTEUR.

Père ! allons donc !

RICHARD., se jetant dans ses bras.

Mon père !

(Il sort.)
MAWBRAY.

Eh bien ! mon ami ?

LE DOCTEUR.

Il méritait cette leçon, n’est-ce pas ?

MAWBRAY.

Laquelle ?

LE DOCTEUR.

Celle que je viens de lui donner.

MAWBRAY.

Ah ! vous appelez cela une leçon ?

LE DOCTEUR.

Eh ! comment aurais-je été plus sévère quand ce drôle-là s’avise de réaliser tout à coup des espérances de quinze ans, mes projets d’avenir, un rêve que je n’avais abandonné que lorsque je crus m’apercevoir que Richard faisait peu d’attention à ma fille. Vrai Dieu, Mawbray, je suis enchanté de m’être trompé !


Scène VIII.

Les précédents ; MISTRESS GREY.
MISTRESS GREY., entrant.

Vous m’avez fait demander, mon ami ?

LE DOCTEUR.

Oui, ma chère Anna, j’ai besoin de votre aide. Voici le moment de réaliser un de vos rêves les plus chers.

ANNA.

Lequel ?

LE DOCTEUR.

Jenny a dix-sept ans, Richard vingt-six.

ANNA.

Eh bien ?

LE DOCTEUR.

Mon Anna, c’est au même âge que nous avons été fiancés. Que diriez-vous d’un anniversaire ?

ANNA.

Richard l’époux de Jenny ?

LE DOCTEUR.

Qu’y a-t-il là qui t’étonne ? vingt fois ne m’as-tu pas dit toi-même que ce projet ferait le bonheur de nos vieux jours s’il pouvait réussir ?

ANNA.

Autrefois ; mais depuis longtemps, mon ami, vous avez dû remarquer que je ne vous en parlais plus.

LE DOCTEUR.

Et pourquoi ?

ANNA.

Mon ami, c’est qu’avec les années s’est développé le caractère de Richard ; son caractère que j’ai suivi avec l’œil et l’âme d’une mère.

LE DOCTEUR.

Eh bien ?

ANNA.

Eh bien ! mon ami, il est ambitieux.

LE DOCTEUR.

Et tu crains cette passion ?

ANNA.

Pour Jenny.

LE DOCTEUR.

C’est la source des grandes vertus.

ANNA.

Et quelquefois des grands crimes… Si ce mariage faisait à jamais le malheur de notre fille !

LE DOCTEUR.

Et leur malheur est bien plus certain en les séparant… Anna, nos enfants s’aiment…

ANNA.

Et comment le savez-vous ? Il y a deux heures, Richard se croyait encore notre fils.

LE DOCTEUR.

Eh bien ! il y a dix minutes, j’ai surpris notre fils aux pieds de notre fille. Ferons-nous le malheur de ces pauvres enfants ?

ANNA.

Si j’étais sûre que Jenny fût heureuse !

LE DOCTEUR.

Elle le sera… Nous profiterons des nobles élans du cœur de Richard pour lui inspirer de nobles