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un de guerre qui n’est pas le mien et que je porte.

PHILIPPE.

Et lequel me direz-vous ?

BURIDAN.

Mon nom de guerre, Buridan.

PHILIPPE.

Buridan ; avez-vous quelqu’un en cour ?

BURIDAN.

Personne.

PHILIPPE.

Vos ressources ?

BURIDAN.

Sont là — (Il frappe son front.) et là — (Il frappe son cœur.) Dans la tête et le cœur.

PHILIPPE.

Vous comptez sur votre bonne mine et sur l’amour ; vous avez raison, mon cavalier.

BURIDAN.

Je compte sur autre chose encore ; je suis du même âge, du même pays que la reine… j’ai été page du duc Robert II, son père, lequel est mort assassiné… la reine et moi n’avions pas, à nous deux, l’âge que chacun de nous a seul maintenant.

PHILIPPE.

Quel est votre âge ?

BURIDAN.

Trente-cinq ans.

PHILIPPE.

Eh bien !

BURIDAN.

Eh bien ! il y a depuis cette époque un secret entre Marguerite de Bourgogne et moi… un secret qui me tuera, jeune homme, ou qui fera ma fortune.

PHILIPPE, lui présentant son gobelet pour trinquer.

Bonne chance !

BURIDAN.

Dieu vous le rende, mon soldat.

PHILIPPE.

Mais cela ne commence pas mal.

BURIDAN.

Ah !

PHILIPPE.

Oui, aujourd’hui, comme je revenais de voir passer le cortège de la reine, je me suis aperçu que j’étais suivi par une femme. J’ai ralenti mon pas et elle a doublé le sien ;… le temps de retourner un sablier, elle était près de moi : « Mon jeune seigneur, m’a-t-elle dit, une dame qui aime l’épée vous trouve bonne mine ; êtes-vous aussi brave que joli garçon ? êtes-vous aussi confiant que brave ? — S’il ne faut à votre dame, ai-je répondu, qu’un cœur qui passe sans battre à travers un danger pour arriver à un amour… je suis son homme, pourvu toutefois qu’elle soit jeune et jolie ; sinon qu’elle se recommande à sainte Catherine et qu’elle entre dans un couvent. — Elle est jeune et elle est belle. — C’est bien. — Elle vous attend ce soir. — Où ? — Trouvez-vous à l’heure du couvre-feu, au coin de la rue Froid-Mantel, un homme s’approchera de vous, et dira : Votre main ? Vous lui montrerez cette bague et vous le suivrez. Adieu, mon soldat, plaisir et courage… » Alors elle m’a mis au doigt cet anneau, et a disparu.

BURIDAN.

Vous irez à ce rendez-vous ?

PHILIPPE.

Par mon saint patron ! je n’ai garde d’y manquer.

BURIDAN.

Mon cher ami, je vous en félicite… Il y a quatre jours de plus que vous que je suis à Paris, et excepté Landry, qui est une vieille connaissance de guerre, je n’ai pas rencontré un visage sur lequel je puisse appliquer un nom… Sang-Dieu !… je ne suis cependant d’âge ni de mine à n’avoir plus d’aventures.


Scène III


BURIDAN, PHILIPPE D’AULNAY, une femme voilée.
LA FEMME VOILÉE, entrant et touchant de la main l’épaule de Buridan.

Seigneur capitaine…

BURIDAN, se retournant sans se déranger,

Qu’y a-t-il, ma gracieuse ?

LA FEMME.

Deux mots tout bas.

BURIDAN.

Pourquoi pas tout haut ?

LA FEMME.

Parce qu’il n’y a que deux mots à dire et qu’il y a quatre oreilles pour les entendre.

BURIDAN, se levant.

C’est bien… Prenez mon bras, mon inconnue, et dites-moi ces deux mots… (À Philippe.) Vous permettez ?…

PHILIPPE.

Faites !

LA FEMME.

Une dame qui aime l’épée vous trouve bonne mine ; êtes-vous aussi brave que joli garçon ? êtes-vous aussi confiant que brave ?

BURIDAN.

J’ai fait vingt ans la guerre aux Italiens, les plus mauvais coquins que je connaisse ; j’ai fait vingt ans