nous avons eu faim et froid ensemble, et nous nous sommes réchauffés et rassasiés ensemble.
Et, depuis ce temps-là, nos plus longues absences ont été de six mois ; et lorsqu’il mourra, lui, je mourrai, moi ; car, ainsi qu’il n’est venu au monde que de quelques heures avant moi, je ne dois lui survivre que de quelques heures. Ces choses-là sont écrites, croyez-le ; aussi, entre nous, tout à deux, rien à un seul : notre cheval, notre bourse, notre épée sur un signe, notre vie sur un mot. Au revoir, capitaine. Viens chez moi, frère.
Non pas, mon féal ; il faut que je passe cette nuit quelque part où quelqu’un m’attend.
Arrivé il y a deux heures, tu as un rendez-vous pour cette nuit ? Prends garde, frère : – (Deux garçons taverniers passent et vont fermer les volets.) depuis quelque temps la Seine charrie bien des cadavres, la grève reçoit bien des morts ; mais c’est surtout de gentilshommes étrangers qu’on fait chaque jour aux rives du fleuve la sanglante récolte. Prends garde, frère, prends garde !
Vous entendez, capitaine ; irez-vous ?
J’irai.
Et moi aussi.
Depuis quand êtes-vous arrivé, capitaine ?
Depuis cinq jours.
Toi depuis deux heures, lui depuis cinq jours… toi, tout jeune ; lui, jeune encore… N’y allez pas, mes amis, n’y allez pas !
Nous avons promis, promis sur notre honneur.
La promesse est sacrée,… allez-y donc ; mais demain, demain dès le matin, frère…
Sois tranquille.
Vous, quand vous voudrez, messire.
Merci.
Voici le couvre-feu, messeigneurs.
Adieu, on m’attend à la deuxième tour du Louvre.
Moi, rue Froid-Mantel.
Moi, au palais.
trois hommes paraissent.)
Et nous, enfants, à la tour de Nesle.
Tableau 2
au premier plan, une à gauche ; une fenêtre au fond avec un balcon ; une toilette, chaises, fauteuils.
Scène V
La belle nuit pour une orgie à la tour ! Le ciel est noir, la pluie tombe, la ville dort, le fleuve grossit comme pour aller au-devant des cadavres… C’est un beau temps pour aimer ; au dehors le bruit de la foudre, au dedans le choc des verres et les baisers et les propos d’amour… Étrange concert où Dieu et Satan font chacun leur partie. – (On entend des éclats de rire.) Riez, jeunes fous, riez donc, moi, j’attends ; vous avez encore une heure à rire et moi une heure à attendre comme j’ai attendu hier, comme j’attendrai demain. Quelle inexorable condition ! parce qu’ils sont entrés ici,