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sés que moi : le premier ordre ne m’invite pas beaucoup à ouvrir le second ; et si par hasard c’était l’un de vous que je dusse aussi mener pendre, celui-là m’aura quelque obligation du retard… — (Il le déploie lentement.) Ma commission de capitaine dans les gardes ! Y savez-vous une place vacante, messieurs ?

RAOUL.

Non, mais à moins que Gaultier…

SAVOISY, regardant Gaultier.

Sur Dieu ! vous m’y faites songer.

RAOUL.

N’importe ; recevez nos félicitations.

SAVOISY.

C’est bien, messieurs, c’est bien. Je dois à l’instant prendre mon poste dans les appartements… ainsi restez ici, si tel est votre bon plaisir. Messieurs, j’ai appris pour mon compte ce que je voulais. — (Riant.) Le roi est un grand roi et le nouveau ministre un grand homme.

(Il sort.)
L’OFFICIER, rentrant.

Sire Gaultier d’Aulnay ?

GAULTIER.

Heim !

L’OFFICIER.

Lettres patentes du roi.

GAULTIER, se levant.

Du roi !

(Il les prend étonné.)
L’OFFICIER.

Messeigneurs, le roi, notre sire, ne recevra pas après le conseil ; vous pouvez vous retirer.

GAULTIER, lisant.

« Lettres patentes du roi, donnant au sire d’Aulnay le commandement de la comté de Champagne. » À moi le commandement d’une province !… « Ordre de quitter demain Paris pour se rendre à Troyes. » Moi, quitter Paris !…

RAOUL.

Sire d’Aulnay, nous vous félicitons ; justice est faite, et la reine ne pouvait mieux choisir.

GAULTIER.

Félicitez Satan ; car d’archange qu’il était, il est devenu roi des enfers. — (Il déchire l’ordre.) Je ne partirai pas ! — (S’adressant aux seigneurs.) Le roi n’a-t-il pas dit que vous pouviez vous retirer, messieurs ?

RAOUL.

Et vous ?

GAULTIER.

Moi, je reste.

RAOUL.

Si nous ne vous revoyons pas avant votre départ, bon voyage, sire Gaultier.

GAULTIER.

Dieu vous garde.

(Ils sortent.)
GAULTIER, seul.

Partir !… partir, quitter Paris !… Est-ce cela qu’on m’avait promis ?… Mais qui me dira donc sur quel terrain je marche depuis quelques jours ? Tout, alentour de moi, n’est que déception ; chaque objet me parait réel jusqu’à ce que je le touche, puis alors il s’évanouit entre mes mains… Fantômes !


Scène VI


GAULTIER, MARGUERITE.
MARGUERITE, entrant du fond.

Gaultier !

GAULTIER.

Ah ! c’est vous enfin, madame.

MARGUERITE.

Silence !

GAULTIER.

Assez longtemps je me suis tû ; il faut que je vous parle, dût chaque parole me coûter une année d’existence… Vous raillez-vous de moi, Marguerite, pour promettre et retirer en même temps votre parole ?… Suis-je un jouet dont on s’amuse ? suis-je un enfant dont on se rit ?… Hier vous me jurez que rien ne nous séparera, et aujourd’hui… l’on m’envoie, loin de Paris, dans je ne sais quelle comté !

MARGUERITE.

Vous avez reçu l’ordre du roi ?

GAULTIER, montrant les morceaux qui sont à terre.

Et le voilà, tenez.

MARGUERITE.

Modérez-vous.

GAULTIER.

Vous avez pu approuver cet ordre ?

MARGUERITE.

J’ai été forcée.

GAULTIER.

Forcée ! et par qui ? qui peut forcer la reine ?

MARGUERITE.

Un démon qui en a le pouvoir.

GAULTIER.

Mais quel est-il ? dites-le-moi.

MARGUERITE.

Feins d’obéir, et peut-être d’ici à demain pourrai-je te voir et tout t’expliquer.

GAULTIER.

Et tu veux que je me retire sur une pareille assurance ?