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Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/387

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Tableau 5


La Tour de Nesle.





Scène V


MARGUERITE, ORSINI.
MARGUERITE.

Tu comprends, Orsini, c’est une dernière nécessité, c’est an meurtre encore, mais c’est le dernier. Cet homme connaît tous nos secrets ; nos secrets de vie ou de mort : les tiens et les miens. Si je n’avais lutté depuis trois jours contre lui au point d’être lasse de la lutte, nous serions déjà perdus tous deux.

ORSINI.

Mais cet homme a donc un démon à ses ordres, pour être instruit ainsi de tout ce que nous faisons ?

MARGUERITE.

Peu importe de quelle manière il a appris, mais enfin il sait. Avec un mot, cet homme m’a jetée à ses genoux comme une esclave : il m’a vue lui détacher un à un les liens dont je l’avais fait charger… et cet homme-là qui sait nos secrets, qui m’a vue ainsi, qui peut nous perdre, cet homme a eu l’imprudence de me demander un rendez-vous, un rendez-vous à la tour de Nesle ! J’ai hésité cependant, mais, n’est-ce pas ? c’était bien imprudent à lui ; c’était tenter Dieu ! Au moins il s’est invité, lui ; c’est autant de moins pour le remords.

ORSINI.

Eh bien ! encore celui-ci ; moi qui vous demandais du repos, je suis le premier à vous dire : Il le faut.

MARGUERITE.

Ah ! n’est-ce pas qu’il le faut, Orsini ? tu vois bien, tu veux aussi qu’il meure ; quand je ne te l’ordonnerais pas, pour ta propre sûreté tu le frapperais.

ORSINI.

Oui, oui ! mais une trêve après ; si votre cœur n’est point blasé, notre fer s’émousse, et ce sera assez, ce sera trop pour notre repos éternel.

MARGUERITE.

Oui, mais notre tranquillité en ce monde l’exige. Tant que cet homme vivra, je ne serai pas reine, je ne serai maîtresse, ni de ma puissance, ni de mes trésors, ni de ma vie ; mais lui mort !… oh ! je te le jure, plus de nuits passées hors du Louvre, plus d’orgie à la tour, plus de cadavres à la Seine ! puis je te donnerai assez d’or pour acheter une province, et tu seras libre de retourner dans ta belle Italie ou de rester en France, écoute : je ferai raser cette tour, je bâtirai un couvent à sa place, je doterai une communauté de moines, et ils passeront leur vie à prier nu-pieds sur la pierre nue, à prier pour moi et pour toi ; car, je te le dis, Orsini, je suis lasse autant que toi de tous ces amours et de tous ces massacres… et il me semble que Dieu me les pardonnerait si je n’y joutais pas ce dernier.

ORSINI.

Il sait nos secrets, il peut nous perdre. Par où va-t-il venir ?

MARGUERITE.

Par cet escalier.

ORSINI.

Après lui, pas d’autres.

MARGUERITE.

Par le sang du Christ ! je te le jure.

ORSINI.

Je vais placer mes gens.

MARGUERITE.

Écoute, ne vois-tu rien ?

ORSINI.

Une barque conduite par deux hommes.

MARGUERITE.

L’un de ces deux hommes, c’est lui. Il n’y a pas de temps à perdre : va, va, mais ferme cette porte, qu’il ne puisse venir jusqu’à moi. Je ne peux pas, je ne veux pas le revoir ; peut-être a-t-il encore quelque secret qui lui sauverait la vie. Va, va, et enferme-moi.

(Orsini sort et ferme la porte.)