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car je présume que tu es de notre avis, puisque tu ne dis rien…

RUGGIERI.

J’attendais l’occasion favorable de vous présenter une petite requête.

BUSSY LECLERC.

Laquelle ?

RUGGIERI, lui donnant le billet de d’Épernon.

La voilà…

BUSSY LECLERC.

Comment ! un bon du d’Épernon… sur moi ! c’est une plaisanterie…

RUGGIERI.

Il a dit que, si vous n’y faisiez pas honneur, il irait vous trouver, et le ferait acquitter lui-même…

BUSSY LECLERC.

Qu’il vienne, morbleu !… a-t-il oublié qu’avant d’être procureur, j’ai été maître d’armes au régiment de Lorraine !… Je crois que le cher favori est jaloux des statues qui ornent les tombeaux de Quelus et de Maugiron ? Eh bien ! qu’à cela ne tienne… nous le ferons tailler en marbre à son tour.

LE DUC DE GUISE.

Gardez-vous-en bien, maître Bussy ! Je ne voudrais pas, pour vingt-cinq de mes amis, ne pas avoir un tel ennemi… son insolence recrute pour nous… Donne-moi ce billet, Ruggieri. Dix écus noble rose ? c’est cent vingt livres tournois… les voilà.

BUSSY LECLERC.

Que faites-vous donc, monseigneur ?

LE DUC DE GUISE.

Soyez tranquille : quand le moment de régler nos comptes sera arrivé, je m’arrangerai de manière à ce qu’il ne reste pas mon débiteur… Mais il se fait tard… à demain soir, messieurs. Les portes de l’hôtel de Guise seront ouvertes à tous nos amis ; madame de Montpensier en fera les honneurs ; et seront doublement bien venus ceux qui viendront avec la double croix de Lorraine ! Ruggieri, reconduis ces messieurs. Ainsi, c’est dit ; à demain soir, à l’hôtel de Guise.

CRUCÉ.

Oui, monseigneur…

(Ils sortent.)



Scène VIII.


LE DUC DE GUISE, seul.
(Il s’assied sur le sofa où la duchesse a oublié son mouchoir.)

Par saint Henri de Lorraine ! c’est un rude métier que celui que j’ai entrepris… Ces gens-là croient qu’on arrive au trône de France comme à un bénéfice de province. Le duc de Guise roi de France ! c’est un beau rêve… Cela sera, pourtant ; mais, auparavant, que de rivaux à combattre ! Le duc d’Anjou d’abord… c’est le moins à craindre ; il est haï également du peuple et de la noblesse, et on le déclarerait facilement hérétique et inhabile à succéder… Mais, à son défaut, l’Espagnol n’est-il pas là pour réclamer, à titre de beau-frère, l’héritage du Valois ?… Le duc de Savoie, son oncle par alliance, voudra élever des prétentions. Le duc de Lorraine a épousé sa sœur… Peut-être y aurait-il un moyen ? Ce serait de faire passer la couronne de France sur la tête du vieux cardinal de Bourbon, et de le forcer à me reconnaître pour héritier… J’y songerai… Que de peines ! de tourments !… pour qu’à la fin peut-être la balle d’un pistolet ou la lame d’un poignard… Ah ! — (Il laisse tomber sa main avec découragement ; elle se pose sur le mouchoir oublié par la duchesse.) Qu’est cela ?… mille damnations !… ce mouchoir appartient à la duchesse de Guise… voilà les armes réunies de Clèves et de Lorraine… Elle serait venue ici !… Saint-Mégrin !… Oh ! Mayenne ! Mayenne ! tu ne t’étais donc pas trompé ! et lui… lui… — (Appelant.) Saint-Paul ! — (Son écuyer entre.) Saint-Paul ! qu’on me cherche les mêmes hommes qui ont assassiné Dugast.