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JOYEUSE.

C’est trop fatigant, et puis tu n’es pas de ma force : fais une œuvre charitable, tire d’Épernon d’embarras…

SAINT-LUC.

Soit.

JOYEUSE, tirant un bilboquet de son escarcelle.

Vive Dieu !… messieurs.. voilà un jeu… Celui-là ne fatigue ni le corps ni l’esprit… Sais-tu bien que cette nouvelle invention a eu hier un succès prodigieux chez la présidente ? À propos, tu n’y étais pas, Saint-Luc ; qu’es-tu donc devenu ?…

SAINT-LUC.

J’ai été voir les Gélosi ; tu sais, ces comédiens italiens qui ont obtenu du roi la permission de représenter des mystères à l’hôtel de Bourbon ?

JOYEUSE.

Ah ! oui… moyennant quatre sous par personne.

SAINT-LUC.

Et puis, en passant… Un instant, d’Épernon, je n’ai pas joué…

JOYEUSE.

Et puis, en passant ?…

SAINT-LUC.

Où ?

JOYEUSE.

En passant, disais-tu ?…

SAINT-LUC.

Oui… je me suis arrêté en face de Nesle, pour y voir poser la première pierre d’un pont qu’on appellera le Pont-Neuf.

D’ÉPERNON.

C’est un architecte nommé Ducerceau qui l’a entrepris… On dit que le roi va lui accorder des titres de noblesse…

JOYEUSE.

Et justice sera faite… Sais-tu qu’il m’épargnera au moins six cents pas toutes les fois que je voudrai aller à l’École Saint-Germain. (Il laisse tomber son bilboquet, et appelle son page qui est à l’autre bout de la salle.) Bertrand ! mon bilboquet…

SAINT-LUC.

Messieurs… grande nouvelle ! hier, madame de Sauve m’a dit en confidence que le roi avait abandonné les fraises goudronnées pour prendre les collets renversés à l’italienne.

D’ÉPERNON.

Eh ! que ne nous disais-tu cela… nous serons en retard d’un jour… Tiens ! Saint-Mégrin le savait, lui… — (À son page.) Que je trouve demain un collet renversé au lieu de cette fraise…

SAINT-LUC, riant.

Ah ! ah !… tu te souviens que le roi t’a exilé quinze jours, parce qu’il manquait un bouton à ton pourpoint…

JOYEUSE.

Eh bien ! moi, je vais te rendre nouvelle pour nouvelle. Entraguet rentre aujourd’hui en grâce.

SAINT-LUC.

Vrai ?…

JOYEUSE.

Oui, il est décidément Guisard… C’est le Balafré qui a exigé du roi qu’il lui rendit son commandement : depuis quelque temps il fait tout ce qu’il veut…

D’ÉPERNON.

C’est qu’il a besoin de lui… Il parait que le Béarnais est en campagne, le harnois sur le dos…

JOYEUSE.

Vous verrez que ce damné d’hérétique nous fera battre pendant l’été… Mettez-vous donc en campagne de cette chaleur-là, avec cent cinquante livres de fer sur le corps… pour revenir halé comme un Andalous…

SAINT-LUC.

Ce serait un mauvais tour à te faire, Joyeuse…

JOYEUSE.

Je l’avoue, j’ai plus peur d’un coup de soleil que d’un coup d’épée, et, si je le pouvais, je me battrais toujours, comme Bussy d’Amboise l’a fait dans son dernier duel, au clair de la lune…

SAINT-LUC.

Quelqu’un a-t-il de ses nouvelles ?

D’ÉPERNON.

Il est toujours dans l’Anjou, près de Monsieur… C’est encore un ennemi de moins pour le Guisard.

JOYEUSE.

À propos du Guisard, Saint-Mégrin ! sais-tu ce qu’en dit la maréchale de Retz ? Elle dit qu’auprès du duc de Guise, tous les autres princes paraissent peuple.

SAINT-MÉGRIN.

Guise… toujours Guise… Vive Dieu !… que l’occasion s’en présente, — (Tirant son poignard et coupant son gant par morceaux) et, de par saint Paul de Bordeaux ! je veux hacher tous ces petits princes lorrains comme ce gant.

JOYEUSE.

Bravo ! Saint-Mégrin… Vrai Dieu ! je le hais autant que toi.

SAINT-MÉGRIN.

Autant que moi ? Malédiction ! si cela est possible ; je donnerais mon titre de comte pour sentir, cinq minutes seulement, son épée contre la mienne… Cela viendra peut-être…

DU HALDE.

Messieurs, messieurs… voilà Bussy…

SAINT-MÉGRIN.

Comment, Bussy d’Amboise…