Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/582

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hambre de mon père, je lui parlerai le premier. Allons, Don Juan, il ne s’agit plus de séduire une jolie femme ou de combattre un brave cavalier ; plus de paroles dorées, plus de bottes secrètes : tu as affaire à un prêtre, parle-lui la sainte langue de l’Église.


Scène IV

.

Les mêmes, Don Mortès.

DON JUAN.

Vous êtes un digne serviteur de Dieu, mon père, toujours prompt à la prière et à la consolation.

DOM MORTÈS.

C’est mon devoir, Monseigneur.

DON JUAN.

Aussi, n’avons-nous pas douté quand nous vous avons fait mander…


DOM MORTÈS.

Pardon, mais je croyais que le comte seul avait besoin…

DON JUAN.

Tous deux, mon père, tous deux : la parole divine est peut-être plus nécessaire encore à ceux qui doivent vivre qu’à ceux qui vont mourir. N’avez-vous pas quelques minutes à me consacrer, mon père ?

DOM MORTÈS.

Parlez, Monseigneur.

DON JUAN.

Vous avez connu mon noble père dans sa jeunesse ?

DOM MORTÈS.

J’ai eu l’honneur d’étudier avec lui à l’université de Salamanque.

DON JUAN.

Vous savez qu’il était d’un caractère…

DOM MORTÈS.

Plein de grandeur et de seigneurie.

DON JUAN.

Mais en même temps fougueux et passionné.

DOM MORTÈS.

Cela lui a fait faire de grandes armes en Italie, Monseigneur.

DON JUAN.

Et de grands péchés en Espagne, mon père.

DOM MORTÈS.

Il a toujours obéi aux ordres de son roi, comme doit le faire un bon Castillan.

DON JUAN.

Certes ; mais il n’a pas toujours suivi les commandements de Dieu, comme aurait dû le faire un bon catholique.

DOM MORTÈS.

Je ferai tout pour l’amener là.

DON JUAN.

Il y a un péché qui doit lourdement charger sa conscience.

DOM MORTÈS.

Lequel ?

DON JUAN.

Vous savez qu’avant d’épouser ma mère, il avait eu de… Je ne sais quelle esclave mauresque, gitane ou bohémienne, qu’il avait ramenée d’Afrique, un fils qu’il a traité comme mon frère, et à qui il a permis de s’appeler Don Josès, comme je m’appelle Don Juan ?

DOM MORTÈS.

Je le sais.

DON JUAN.

Eh bien, mon père, voilà ce dont il est urgent qu’il se repente pour le salut de son âme ; et il se repentira certainement, si un saint homme comme vous lui reproche sa faiblesse pour cet enfant, s’il lui défend de le revoir avant sa mort, et s’il lui présente ce sacrifice comme une expiation de sa faute.

DOM MORTÈS.

Et pourquoi ?

DON JUAN.

Parce que, comme un païen et un hérétique qu’il est, il dissiperait les richesses des Marana en des jeux de cartes et de dés, au lieu d’en doter de saints couvents, comme je le ferais