Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/596

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t il allait chercher l’amour et dont il n’a trouvé que le cadavre… Ô Don Juan ! Don Juan !

TERESINA.

Tu le connais donc ?

DON JOSÈS.

Oui, je le connais ! Pour mon malheur dans ce monde et peut-être dans l’autre… Tu avais raison de craindre, Teresina ! Pauvre fleur ! tu avais deviné l’orage…

TERESINA.

Eh bien, je suis ta fiancée, n’est-ce pas ? Je devrais à cette heure être ta femme, si la lettre qui te rappelait au lit de mort de ton père n’était venue nous séparer presque au pied de l’autel ; sans cette lettre, je t’appartiendrais maintenant… Eh bien, Don Josès, appelle le chapelain, qu’à l’instant même il nous unisse… Une fois ta femme, oh ! Je serai forte, sois tranquille.

DON JOSÈS.

Teresina, vous êtes un ange… Paquita, vous avez entendu ce qu’a dit votre maîtresse ; allez avertir le prêtre que nous nous rendons à la chapelle… Dans une demi-heure, nous y serons…

PAQUITA.

J’y vais, Monseigneur.

DON JOSÈS, continuant.

Et tu auras tout ce que tu rêvais, ma Teresina ! Tu auras des bijoux, des châteaux, des armoiries ; car, moi aussi, je suis riche ; moi aussi, j’ai des domaines ; moi aussi, je suis noble ! Savais-je, moi, que toutes ces vanités humaines pouvaient ajouter à ton bonheur ? Cela est… Eh bien, ma belle Teresina, allez mettre votre voile blanc, et nous le troquerons contre un manteau de cour ; allez parer votre front virginal d’une branche d’oranger, et nous l’échangerons contre une couronne de comtesse. Allez, mon ange ! Allez !…

TERESINA.

Vous êtes bon, Monseigneur ! Oh ! Je ne reverrai plus cet homme, n’est-ce pas ?

DON JOSÈS.

Soyez tranquille.

SCÈNE IX. Don Josès, puis Don Juan.

DON JOSÈS.

Oh ! Don Juan ! Don Juan ! Mauvais génie de la famille, je t’avais reconnu avant qu’elle prononçât ton nom ; rien n’a pu t’arrêter dans ta route fatale, rien n’a pu te distraire de ta mauvaise pensée, ni ton père mort, ni ta maîtresse assassinée ! Tu as enjambé deux cadavres, et tu es venu pour séduire la fiancée de ton frère !…

DON JUAN, à la porte.

Salut à Don Josès !

DON JOSÈS, tristement.

Bonjour, frère !

DON JUAN.

Tu as oublié de m’inviter à tes fiançailles, Don Josès…

DON JOSÈS.

Je comptais le faire aux funérailles de mon père ; mais je ne t’y ai point vu.

DON JUAN.

Je ne me suis pas senti le courage d’y assister ; et, comme depuis longtemps je comptais visiter les domaines de mes aïeux, je me suis mis en route, et j’ai commencé par mon château de Villa-Mayor.

DON JOSÈS.

Est-ce le château seulement que tu es venu visiter ?

DON JUAN.

J’étais curieux aussi de connaître la châtelaine.

DON JOSÈS.

Oui, je sais que tu l’as vue.

DON JUAN.

Deux fois.

DON JOSÈS.

Et tu l’as trouvée ?…

DON JUAN.

Charmante la première, adorable la seconde.

DON JOSÈS.

Tu en parles comme un enthousiaste…

DON JUAN.

J’en parle comme un amant.

DON JOSÈS.

Mais tu sais qu’elle est ma fiancée, Don Juan ?

DON JUAN.

Eh bien, j’aime ta fiancée, Don Josès.

DON JOSÈS, lui tendant la main

Tais-toi, frère, tu es fou.

DON JUAN.

N’as-tu pas entendu que je t’ai dit que j’aimais cette jeune fille ?

DON JOSÈS, riant.

Si fait, j’ai entendu…

DON JUAN.

Tu as entendu et tu as ri… Tu ne connais donc pas l’amour de Don Juan ?

DON JOSÈS.

C’est le masque de la volupté sur le visage de la mort, je le sais… Mais je sais aussi que tu m’aimes,