À dix heures.
Ce n’est pas cela. Si demain à dix heures tu vois encore la lumière du ciel, compte alors sur des jours longs et heureux. Vois-tu cette étoile ?
Qui brille près d’une autre plus brillante encore ?
Oui, et à l’occident, distingues-tu ce nuage sombre qui n’est encore qu’un point dans l’immensité ?
Oui, hé bien ?…
Hé bien ! dans une heure, cette étoile aura disparu sous ce nuage, et cette étoile, c’est la tienne.
Scène IV.
Cette étoile, c’est la mienne ! Ruggieri, arrête ! Il
ne m’entend pas ; il entre chez la reine-mère. Cette
étoile, c’est la mienne ; et ce nuage !… Vive Dieu !
je suis bien insensé de croire aux paroles de ce visionnaire… Ces signes ne l’ont jamais trompé, dit-il ! Dugast ! Dugast ! et toi aussi, tu volais comme
moi à un rendez-vous d’amour, lorsque tu es tombé
assassiné ; et ton sang, en sortant de tes vingt-deux
blessures, bouillait encore d’espérance et de bonheur. Ah ! si je dois mourir aussi, mon Dieu ! mon
Dieu ! que je ne meure du moins qu’au retour !
(Entre Joyeuse.)
Eh bien ! que fais-tu là ? Est-ce que tu lis dans les astres, toi ?
Moi ! non.
Je t’avais pris en entrant pour un astrologue. Quoi ! encore ? mais, qu’as-tu donc ?
Rien, rien ; je regarde le ciel.
est superbe ! les étoiles étincellent.
Joyeuse, crois-tu qu’après notre mort notre âme doive habiter un de ces globes brillants sur lesquels notre vue s’est arrêtée tant de fois pendant notre vie ?
Ces pensées ne me sont jamais venues, sur mon âme ; elles sont trop tristes… Tu connais ma devise : hilariter, joyeusement… voilà pour ce monde… quant à l’autre, peu m’importe ce qu’il sera, pourvu que je m’y trouve bien.
Crois-tu que là nous serons réunis aux personnes que nous avons aimées ici-bas ?… Dis ; … crois-tu que l’éternité puisse être le bonheur ?…
Vrai Dieu ! tu deviens fou, Saint-Mégrin ; quel diable de langage me parles-tu là ? Arrange-toi de manière à ce que demain, à pareille heure, M. de Guise puisse t’en donner des nouvelles sûres, et ne me demande pas cela à moi. J’ai déjà le cou tout disloqué d’avoir regardé en l’air.
Tu as raison… oui… oui… je suis un insensé…
Voilà le roi… Voyons… Éloigne cet air soucieux. On dirait, sur mon âme, que ce duel t’inquiète. Est-ce que tu serais fâché ?…
Moi, fâché !… Vrai Dieu ! s’il me tue, Joyeuse,
ce ne sera pas ma vie que je regretterai, ce sera de
lui laisser la sienne.
Scène V.
Soyez tranquilles, messieurs, soyez tranquilles : toutes nos mesures sont prises. Seigneur de Bussy, nous vous rendons notre amitié, en récompense de la manière dont vous avez secondé notre brave sujet, le comte de Saint-Mégrin.
Sire !
Te voilà, mon digne ami ; pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? Cimier, faites apporter un fauteuil près notre trône : ma mère assistera à la séance ; prévenez-la qu’elle va s’ouvrir. Ah ! auparavant, sur la première marche, placez un tabouret pour M. le comte de Saint-Mégrin. — (À Saint-Mégrin.) J’ai à te parler… Par la mort Dieu ! nous voilà tous rassemblés, messieurs ; il ne nous manque plus que notre beau cousin de Guise…
Il ne se fera pas attendre, mon fils ; j’ai aperçu ses pages dans l’antichambre.