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ARTHUR.

Dans son oratoire.

SAINT-MÉGRIN.

Elle était seule ?

ARTHUR.

Seule.

SAINT-MÉGRIN.

Et que paraissait-elle éprouver ?

ARTHUR.

Je ne sais… mais elle était pâle et tremblante.

SAINT-MÉGRIN.

Dans son oratoire ! seule, pâle et tremblante !… Tout cela devait être, et cependant j’étais si loin de m’attendre… Non, c’est impossible. — (Il relit.) Plusieurs membres de la Sainte-Union se rassemblent cette nuit à l’hôtel de Guise ; les portes en resteront ouvertes jusqu’à une heure du matin. À l’aide d’un déguisement de ligueur, vous pouvez passer sans être aperçu ; l’appartement de madame la duchesse de Guise est au second, et cette clef en ouvre la porte. À monsieur le comte de Saint-Mégrin. C’est bien à moi… pour moi ; ce n’est point un songe… ma tête ne s’égare pas… Cette clef… ce papier… ces lignes tracées, tout est réel !… il n’y a point là d’illusion… — (Il porte la lettre à ses lèvres.) Je suis aimé… aimé…

ARTHUR.

À votre tour, comte, silence !…

SAINT-MÉGRIN.

Oui, tu as raison ; silence !… et à toi aussi, jeune homme, silence !… Sois muet comme la tombe… oublie ce que tu as fait, ce que tu as vu ; ne te rappelle plus mon nom, ne te rappelle plus celui de ta maîtresse. Elle a montré de la prudence en te chargeant de ce message. Ce n’est point parmi les enfants qu’on doit craindre les délateurs.

ARTHUR.

Et moi, comte, je suis fier d’avoir un secret à nous deux.

SAINT-MÉGRIN.

Oui… mais un secret terrible : un de ces secrets qui tuent. Ah ! fais en sorte que ta physionomie ne le trahisse pas, que tes yeux ne le révèlent jamais… Tu es jeune ; conserve la gaieté et l’insouciance de ton âge. S’il arrive que nous nous rencontrions, passe sans me connaître, sans m’apercevoir ; si tu avais encore dans l’avenir quelque chose à m’apprendre, ne l’exprime point par des paroles, ne le confie pas au papier ; un signe, un regard me dira tout… Je devinerai le moindre de tes gestes ; je comprendrai ta plus secrète pensée. Je ne puis te récompenser du bonheur que je te dois… Mais si jamais tu avais besoin de mon aide, ou de mon secours, viens à moi, parle… et ce que tu demanderas, tu l’auras, sur mon âme, fut-ce mon sang. Sors, sors maintenant, et prends garde qu’on ne te voie… Adieu, adieu !

ARTHUR, lui pressant la main.

Adieu, comte, adieu !


Scène II.


SAINT-MÉGRIN, puis GEORGES.
SAINT-MÉGRIN.

Va, jeune homme, et que le ciel veille sur toi ! Mais il est dix heures, j’ai à peine le temps de me procurer le costume à l’aide duquel… Georges ! (Son valet entre.) il me faut pour ce soir un costume de ligueur… occupe-toi à l’instant de te le procurer. Que je le trouve ici quand j’en aurai besoin ; va. — (Georges sort.) Mais qui vient ici enveloppé d’un manteau ?… Ah ! c’est Côme Ruggieri.


Scène III.


SAINT-MÉGRIN, RUGGIERI.
SAINT-MÉGRIN.

Viens, oh ! viens, mon père, que je te remercie. Eh bien ! toutes tes prédictions se sont réalisées. Je te rends grâces, car je suis heureux ; oh ! oui, oui, plus heureux que tu ne peux le croire… Tu ne me réponds pas, tu m’examines !

RUGGIERI.

Jeune homme, avance avec moi du côté de cette lumière.

SAINT-MÉGRIN.

Oh ! que peux-tu lire sur mon front, si ce n’est un avenir d’amour et de bonheur…

RUGGIERI.

La mort peut-être.

SAINT-MÉGRIN.

Que dites-vous, mon père ?…

RUGGIERI.

La mort !…

SAINT-MÉGRIN, riant.

Ah ! mon père, de grâce, laissez-moi vivre jusqu’à demain, c’est tout ce que je vous demande.

RUGGIERI.

Mon fils, nos instants sont comptés au ciel, et Dieu tient en sa main la vie et la mort des hommes. Souviens-toi de Dugast.

SAINT-MÉGRIN.

Il est vrai que je cours un danger ; demain je me bats avec le duc de Guise.

RUGGIERI.

Demain ! à quelle heure ?