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LE COMTE

Jugez-en par la réponse, madame.

LE DOMESTIQUE, annonçant.

Son altesse royale monseigneur le prince de Galles.


Scène IV.

 

Les mêmes ; LE PRINCE DE GALLES.
LE PRINCE, entrant en riant.

Oh ! c’est, Dieu me damne ! une chose merveilleuse. Pardon, madame la comtesse, si j’entre chez vous si joyeusement ; mais, voyez-vous, c’est qu’en ce moment-ci l’aventure la plus bouffonne que je connaisse court les rues de Londres, et sans masque encore…

ELENA.

Certes nous vous pardonnerons, monseigneur, mais à une condition, c’est que vous allez nous la dire.

LE PRINCE.

Comment, si je vous la dirai !… je crois bien ; je la dirais aux roseaux de la Tamise comme le roi Midas, si je n’avais personne à qui la raconter.

ELENA.

Je déclare d’avance que je n’en croirai pas un mot.

AMY.

Oh ! dites toujours, monseigneur ; si nous ne la croyons pas, soyez tranquille, cela ne nous empêchera pas de la répandre.

LE PRINCE.

Vous connaissez bien lord Mewill ?

LE COMTE.

Qui devait épouser cette petite bourgeoise ?

LE PRINCE.

Qui devait est bien dit…

AMY.

Mais c’était chose convenue pour aujourd’hui, ce me semble ?

LE PRINCE.

Eh bien ! il a eu l’innocence de le croire comme vous, et en conséquence, il a remonté sa maison : chevaux et voitures, créanciers et créances, tout cela a été remis à neuf… c’est un homme expéditif que lord Mewill ; malheureusement au moment de marcher à l’autel… comme la fiancée se faisait attendre, on est allé pour la chercher… et l’on a trouvé la porte ouverte et la jeune fille enlevée ; la cage, mais plus d’oiseau.

ELENA.

Pauvre enfant, qu’on voulait sacrifier sans doute et qui sans doute aimait quelqu’un ! Il lui sera arrivé malheur.

LE PRINCE.

Avec cela, notez encore qu’elle loge à cinq cents pas de la Tamise.

(Il rit.)
LE COMTE.

Elle s’y sera jetée… la vue continuelle de l’eau…

AMY.

Oh ! mon Dieu ! et vous riez de cela, monseigneur ?

LE PRINCE.

Rassurez-vous, madame, la vue continuelle de l’eau lui a donné l’envie de voyager par mer, et voilà tout. Mais comme voyager seule est chose ennuyeuse, elle a choisi un bon compagnon qui, je vous en réponds, ne la laissera pas en route.

AMY.

Et sait-on le nom du ravisseur ?…

LE PRINCE.

Un nom des plus illustres de l’Angleterre.

AMY.

Oh ! prince… prince, je vous en supplie !…

LE COMTE.

Ne pressez pas trop son altesse, mesdames… vous l’embarrasseriez peut-être beaucoup.

LE PRINCE.

Mauvais plaisant… soyez tranquille, je ne m’attaque pas à la bourgeoisie… j’aurais trop peur d’échouer… Non, mesdames, c’est un nom bien plus illustre que le mien… un front couronné depuis longtemps, tandis que le mien attend encore sa couronne ; et Dieu la conserve pendant maintes années sur la tête de mon frère !

ELENA, inquiète.

Mais enfin qui donc ?…

LE PRINCE.

Vous ne devinez pas… eh ! mon Dieu, il y a une heure que je vous mets le doigt dessus… et qui donc cela pouvait-il être, sinon le Faublas, le Richelieu, le Rochester des trois-Royaumes… Edmond Kean.

ELENA.

Edmond Kean… cela est impossible !

LE COMTE.

Impossible… mais cela m’explique au contraire son refus… et il fallait une affaire de cette importance pour priver M. Kean de l’honneur d’être notre convive.

ELENA, à part.

Oh ! mon Dieu !

LE COMTE.

Je suis du reste enchanté qu’il ait refusé maintenant… s’il était venu aujourd’hui, et que la chose fût arrivée demain, on aurait cru que j’étais son complice.