si c’est possible… vous ne serez en sûreté qu’en France ou en Belgique.
Moi, fuir… moi, quitter Londres, l’Angleterre, comme un lâche qui tremble… Oh ! vous ne me connaissez pas, Elena… Lord Mewill veut de la publicité, nous lui en donnerons ; son nom n’est pas encore assez honorablement connu, il le sera comme il mérite de l’être.
Vous oubliez qu’un autre nom aussi sera prononcé aux débats : on cherchera les motifs de ce double emportement, contre le prince royal et lord Mewill, et on le trouvera.
Oui, oui… vous avez raison… et tout cela est peut-être un bonheur… M’aimez-vous, Elena ?
Vous le demandez !
Écoutez : vous aussi, vous êtes compromise.
Je le sais.
Non, vous ne savez pas tout encore ; cet éventail que vous avez oublié hier dans ma loge…
Eh bien ?
Il a été trouvé.
Par qui ?
Par le comte.
Grand Dieu !
Il le connaît, n’est-ce pas ?
Sans doute.
Eh bien ?
Eh bien ?
Vous me donniez le conseil de fuir, je suis prêt. Fuirai-je seul ?
Oh ! vous êtes insensé, monsieur Kean ; non, non, c’est chose impossible ; non, notre amour fut un instant d’égarement, d’erreur, de folie, auquel il ne faut plus songer, et que nous devons oublier nous-mêmes afin que les autres l’oublient.
L’oublier, oh ! vous n’y songez pas, Elena ! Mais quand je m’exilerais, quand je cesserais de vous voir, n’aurais-je pas votre image éternellement sur mon cœur ou devant mes yeux ? n’ai-je pas votre portrait, votre portrait chéri ?
Je viens vous le redemander, Kean.
Vous venez me redemander votre portrait ! votre portrait donné hier, vous venez me le redemander aujourd’hui !
Mais songez que la raison l’exige ; Kean, vous m’aimez, je le crois, je le sais, mais pensez-vous qu’éloigné de moi, cet amour résistera à l’absence ? non, avec votre talent et célèbre comme vous l’êtes, les occasions viendront d’elles-mêmes au-devant de vous, vous aimerez une autre femme, et mon portrait, mon portrait qui est en ce moment un souvenir d’amour, ne sera plus alors qu’un trophée de victoire.
Ah ! le voilà, madame ! un pareil soupçon ne laisse aucun moyen de refus ; en amour, qui doute accuse.
Kean !
Le voilà, je ne l’ai pas gardé longtemps et personne ne l’a vu, madame, de sorte que si vous en avez promis un autre, vous pouvez vous dispenser de le faire faire, et donner celui-là à la place.
Promis à qui ?
Que sais-je ? en échange de quelque éventail, peut-être.
Ô Kean, Kean ! après ce que j’ai fait pour vous, après ce que je vous ai sacrifié…
Et que m’avez-vous tant sacrifié, madame, si ce n’est votre orgueil, vous ? C’est vrai, madame la comtesse de Kœfeld est descendue jusqu’à aimer un comédien, vous avez raison : cet amour était un moment d’erreur, d’égarement, de folie ; mais tranquillisez-vous, madame, l’erreur fut pour moi seul, moi seul fus égaré, moi seul ai été fou ; oh ! oui, fou, et bien fou de croire au dévouement d’une femme ; fou de risquer pour elle mon avenir, ma liberté, ma vie, et cela sur un soupçon de jalousie, tandis que j’étais si ardemment aimé ! Oh ! j’avais tort, sang-dieu ! j’avais tort, et voilà donc pourquoi, c’était pour entendre ces choses sortir de votre bouche que je vous attendais depuis hier avec tant de mortelles impatiences ! voilà pourquoi mon cœur battait à me briser la poitrine à chaque coup que l’on frappait à cette porte ! Oh !