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Scène II.


LA DUCHESSE DE GUISE, SAINT-MÉGRIN.
SAINT-MÉGRIN.

Je ne m’étais donc pas trompé, c’était votre voix que j’avais entendue ; elle m’a guidé….

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ma voix ! ma voix ! elle vous disait de fuir !

SAINT-MÉGRIN.

Que j’étais insensé ! je ne pouvais croire à tant de bonheur.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Cette porte est encore ouverte ! fuyez, monsieur le comte, fuyez !

SAINT-MÉGRIN.

Ouverte ! oui… imprudent que je suis !

(Il la referme et jette la clef.)
LA DUCHESSE DE GUISE.

Monsieur le comte, écoutez-moi !

SAINT-MÉGRIN.

Oh ! oui, oui ! parle ! j’ai besoin de t’entendre, pour croire à ma félicité.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Fuyez, fuyez ! la mort est là !… des assassins !…

SAINT-MÉGRIN.

Que dis-tu ? quels sont ces mots de mort et d’assassins que tu prononces, avec une robe de fête, et le front couronné de fleurs ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Des fleurs… ah ! qu’elles soient anéanties !

(Elle les arrache.)
SAINT-MÉGRIN.

Que faites-vous ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Écoutez-moi… écoutez-moi… Au nom du ciel ! sortez de ce délire insensé… il y va de la vie, vous dis-je ; ils vous ont attiré dans un piège infernal ; ils veulent vous assassiner.

SAINT-MÉGRIN.

M’assassiner ! cette lettre n’était donc pas de vous ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Elle était de moi ; mais, la violence, la torture… Voyez ! — (Elle lui montre son bras.) Voyez…

SAINT-MÉGRIN.

Ah !

LA DUCHESSE DE GUISE.

C’est moi qui ai écrit ce billet… mais c’est le duc qui l’a dicté.

SAINT-MÉGRIN, le déchirant.

Le duc ! et j’ai pu croire… Non, non, je ne l’ai pas cru un seul instant. Mon Dieu ! mon Dieu ! elle ne m’aime pas !

LA DUCHESSE DE GUISE.

Maintenant que vous savez tout, fuyez, fuyez ! je vous l’ai dit, il y va de la vie.

SAINT-MÉGRIN, sans l’écouter.

Elle ne m’aime pas…

(Il met sa main dans sa poitrine, et la meurtrit.)
LA DUCHESSE DE GUISE.

Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !

SAINT-MÉGRIN, riant.

C’est ma vie, dites-vous, qu’ils veulent ! Eh bien ! je vais la leur porter : mais sans rien conserver de vous ! tenez ! voilà ce bouquet, que mon existence a failli payer. D’un mot, vous m’avez détaché de la vie, comme ces fleurs de leurs tiges. Adieu ! adieu pour jamais. (Il veut rouvrir la porte.) Cette porte est refermée.

LA DUCHESSE DE GUISE.

C’est lui ! il sait déjà que vous êtes ici.

SAINT-MÉGRIN.

Ah ! qu’il vienne ! qu’il vienne ! Henri… Henri ! n’auras-tu de courage que pour meurtrir le bras d’une femme… Ah ! viens, viens !

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ne l’appelez pas ! ne l’appelez pas ! il doit venir !

SAINT-MÉGRIN.

Que vous importe ? je vous suis indifférent. Ah ! la pitié ! oui…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Mais si vous m’aidiez, peut-être pourriez-vous fuir.

SAINT-MÉGRIN.

Moi, fuir ! et pourquoi ? ma mort et ma vie ne sont-elles pas des événements également étrangers dans votre existence… Fuir ! et fuirais-je aussi votre indifférence, votre haine, peut-être ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Mon indifférence ! ma haine ! ah ! plût au ciel !

SAINT-MÉGRIN.

Plût au ciel ! dis-tu ? Un mot, un mot encore, et je t’obéirai aveuglément… Dis ; ma mort doit-elle être pour toi plus affreuse que l’assassinat d’un homme ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Grand Dieu ! il le demande… Oh ! oui… oui.

SAINT-MÉGRIN.

Tu ne me trompes pas ! ah ! je te rends grâce ! Tu parlais de fuir ! de moyens ! quels sont-ils ?… Fuir ! moi, fuir devant le duc de Guise !… Jamais !…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ce n’est pas devant le duc de Guise que vous fuiriez ; c’est devant des assassins. Retenu dans une autre partie de l’hôtel par cette réunion de ligueurs, il a voulu s’assurer qu’une fois ici vous ne sauriez lui échapper. Si nous pouvions seulement fermer cette porte, nous aurions encore quelques instants ;