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tueux ; de retour à Paris, et devant repartir bientôt, souffrez qu’usant des droits d’une ancienne connaissance, il se présente chez vous ce matin.
xxxxxxxxxx Daignez, etc.
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx ANTONY. »

ADÈLE.

Ce matin… Il est onze heures… il va venir…

CLARA.

Eh bien ! je ne vois là qu’une lettre très-froide, très-mesurée…

ADÈLE.

Et cette devise…

CLARA.

C’était la sienne avant qu’il ne te connût, peut-être ; il l’a conservée… Mais sais-tu qu’il y a vraiment de l’amour-propre… car, qui te dit qu’il t’aime encore ?

ADÈLE, mettant la main sur son cœur.

Je le sens là…

CLARA.

Il annonce son départ…

ADÈLE.

Si nous nous revoyons, il restera… Écoute, je ne veux pas le revoir, je ne le veux pas… Ce n’est point à toi, Clara, ma sœur, mon amie… à toi, qui sais que je l’ai aimé… que j’essaierai de cacher un seul sentiment de mon cœur… Oh ! non, je crois bien que je ne l’aime plus… D’Hervey est si bon, si digne d’être aimé, que je n’ai conservé aucun regret d’un autre temps… Mais il ne faut pas que je le revoie… Si je le revois… s’il me parle, s’il me regarde… Oh ! c’est qu’il y a dans ses yeux une fascination, dans sa voix un charme… Oh ! non, non. Tu allais sortir, c’est moi qui sortirai. Tu le recevras, toi, Clara ; tu lui diras que j’ai conservé pour lui tous les sentiments d’une amie… Que si le colonel d’Hervey était ici, il se ferait comme moi un vrai plaisir de le recevoir ; mais qu’en l’absence de mon mari… pour moi, ou plutôt pour le monde, je le supplie de ne pas essayer de me revoir… qu’il parte… et tout ce qu’une amie peut faire de vœux accompagnera son départ… Qu’il parte, ou, s’il reste, c’est moi qui partirai… Montre-lui ma fille ; dis-lui que je l’aime passionnément, que cette enfant est ma joie… mon bonheur… ma vie… Il te demandera si parfois j’ai parlé de lui avec toi.

CLARA.

Je lui dirai la vérité… Jamais.

ADÈLE.

Au contraire, dis-lui : Oui quelquefois… Si tu lui disais non, il croirait que je l’aime encore, et que je crains jusqu’à son souvenir.

CLARA.

Sois tranquille… tu sais comme il m’écoutait. Je te promets d’obtenir de lui qu’il parte sans te revoir.

LE DOMESTIQUE, à Clara

La voiture de madame est prête.

ADÈLE.

C’est bien. Adieu, Clara… Cependant sois bonne avec Antony ; adoucis par des paroles d’amitié ce qu’il y a d’amer dans ce que j’exige de lui… et, s’il a pleuré, ne me le dis pas à mon retour… Adieu…

CLARA.

Tu te trompes, ce chapeau est le mien.

ADÈLE.

C’est juste ! n’oublie rien de ce que je t’ai dit.

(Elle sort.)
CLARA.

Oh ! non. Pauvre Adèle ! je savais bien qu’elle n’était pas heureuse… Mais n’est-ce pas à tort que cette lettre l’inquiète. Enfin, mieux vaut qu’elle l’évite. (Elle va au balcon et parle à sa sœur.) Prends bien garde, Adèle, ces chevaux m’épouvantent… À quelle heure rentreras-tu ?

ADÈLE, de la rue.

Mais peut-être pas avant le soir.

CLARA.

Bien, adieu. — (Appelant un domestique.) Henri, défendez la porte pour tout le monde, excepté pour un étranger, M. Antony ; allez… Quel est ce bruit ? — (Dans la rue.) Arrêtez ! arrêtez !

CLARA, allant à la fenêtre.

La voiture… ma sœur… mon Dieu ! Oh ! oui, arrêtez, arrêtez ! Oh ! je n’y vois plus… Au nom du ciel, arrêtez ! c’est ma sœur, ma sœur ! — (Bruit et cris dans la rue. Clara jette un cri et vient retomber sur un fauteuil.) Oh ! grâce, grâce, mon Dieu !

HENRI, rentrant.

Madame, ne craignez rien, les chevaux sont arrêtés ; un jeune homme s’est jeté au-devant d’eux… il n’y a plus de danger.

CLARA.

Oh ! merci, mon Dieu ! — (Bruit dans la rue.)

PLUSIEURS VOIX.

Il est tué, non, si, blessé. Où le transporter ?

ADÈLE, dans la rue.

Chez moi ! chez moi !

CLARA.

C’est la voix de ma sœur !… il ne lui est rien arrivé… Mon Dieu !… Mes genoux tremblent, je ne puis marcher… Adèle !…

(Elle sonne.)
UN DOMESTIQUE.

Qu’y a-t-il, madame ?

CLARA.

C’est ma sœur, ma sœur ! une voiture ! Ah ! c’est toi !