Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/150

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À ces mots, chacun foule à ses pieds sa cocarde verte ; chacun demande des rubans ; comme par enchantement, alors, les fenêtres s’ouvrent, et les rubans rouges et bleus pleuvent à flots.

Mais ce qui tombe de rubans suffit à peine à mille personnes.

Aussitôt, les tabliers, les robes de soie, les écharpes, les rideaux sont déchirés, lacérés, mis en lambeaux ; leurs fragments se façonnent en nœuds, en rosettes, en écharpes. Chacun en prend sa part.

Après quoi la petite armée de Billot se remit en route.

En route, elle se recruta : toutes les artères du faubourg Saint-Antoine lui envoyèrent, chemin faisant, ce qu’elles avaient de plus chaud et de plus vif en sang populaire.

On parvint en assez bon ordre à la hauteur de la rue Lesdiguières, où déjà une masse de curieux, les uns timides, les autres calmes, les autres insolents, regardaient les tours de la Bastille dévorées par un ardent soleil ;

L’arrivée des tambours populaires par le faubourg Saint-Antoine ;

L’arrivée d’une centaine de gardes-françaises par le boulevard ;

L’arrivée de Billot et de sa troupe, qui pouvait se composer de mille à douze cents hommes, changèrent à l’instant même le caractère et l’aspect de la foule : les timides s’enhardirent, les calmes s’exaltèrent, les insolents commencèrent à menacer.

— À bas les canons ! à bas les canons ! criaient vingt mille voix en menaçant du poing les grosses pièces qui allongeaient leur cou de cuivre à travers les embrasures des plates-formes.

Juste en ce moment, comme si le gouverneur de la forteresse obéissait aux injonctions de la foule, les artilleurs s’approchèrent des pièces, et les canons reculèrent jusqu’à ce qu’ils fussent disparus tout à fait.

La foule battit des mains ; elle était donc une puissance, puisque l’on cédait à ses menaces.

Cependant les sentinelles continuaient à se promener sur les plates-formes. Un invalide croisait un suisse.

Après avoir crié : à bas les canons ! on cria : à bas les suisses ! C’était la continuation du cri de la veille : à bas les allemands !

Mais les suisses n’en continuèrent pas moins de croiser les invalides.

Un de ceux qui criaient à bas les suisses s’impatienta ; il avait un fusil à la main ; il dirigea le canon de son arme vers la sentinelle et fit feu.

La balle alla mordre la muraille grise de la Bastille, à un pied au-dessous du couronnement de la tour, juste en face de l’endroit où passait la sentinelle. La morsure apparut comme un point blanc, mais la sentinelle ne s’arrêta même pas ne détourna même pas la tête.

Une grande rumeur se fit autour de cet homme, qui venait de donner