Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/151

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le signal d’une attaque inouïe, insensée. Il y avait plus d’effroi encore que de rage dans cette rumeur.

Beaucoup ne comprenaient point que ce ne fût pas un crime punissable de mort que de tirer un coup de fusil sur la Bastille. Billot regardait cette masse verdûtre, pareille à ces monstres fabuleux que l’antiquité nous montre couverts d’écailles. Il comptait les embrasures où les canons pouvaient d’un moment à l’autre reprendre leurs places ; il comptait les fusils de rempart ouvrant leur œil sinistre pour regarder à travers les meurtrières.

Et Billot secouait la tête en se rappelant les paroles de Flesselles.

— Nous n’y arriverons jamais, murmura-t-il. — Et pourquoi n’y arriverons-nous jamais ? dit une voix auprès de lui. Billot se retourna et vit un homme à mine farouche, vêtu de haillons, et faisant étinceler ses yeux comme deux éloiles.

— Parce qu’il me paraît impossible de prendre une pareille masse par la force. — La prise de la Bastille, dit l’homme, n’est point un fait de guerre, c’est un acte de foi : crois, et tu réussiras. — Patience, dit Billot en cherchant son laissez-passer dans sa poche ; patience ! L’homme se trompa à son intention.

— Patience ! lui dit-il. Oui, je comprends, tu es gras, toi ; tu as l’air d’un fermier. — Et j’en suis un en effet, dit Billot. — Alors je comprends que tu dises patience : tu as toujours été bien nourri ; mais regarde un peu derrière toi tous ces spectres qui nous environnent ; vois leurs veines arides ; compte leurs os à travers les trous de leurs habits, et demande-leur, à eux, s’ils comprennent le mot patience ? — En voilà un qui parle très-bien, dit Pitou ; mais il me fait peur. — Il ne me fait pas peur à moi, dit Billot.

Et se retournant vers l’homme :

— Oui, patience, dit-il ; mais un quart d’henre encore, voilà tout. — Ah ! ah ! fit l’homme en souriant ; un quart d’heure ! en effet, —ce n’est pas trop ; et que feras-tu d’ici un quart d’heure ? — D’ici un quart d’heure, j’aurai visité la Bastille ; je saurai le chiffre de sa garnison, je saurai les intentions de son gouverneur, je saurai enfin par où l’on y entre. — Oui, si tu sais par où l’on en sort. — Eh bien ! si je n’en sors pas, un homme viendra m’en faire sortir. — Et quel est cet homme ? — Gonchon, le Mirabeau du peuple.

L’homme tressaillit ; ses yeux lancèrent deux flammes.

— Le connais-tu ? demanda-t-il. — Non. — Eh bien ! alors ? — Eh bien ! je vais le connaître ; car on m’a dit que la première personne à laquelle je m’adresserais, sur la place de la Bastille, me conduirait à lui ; tues sur la place de la Bastille, conduis-moi à lui. — Que lui veux-tu ?