Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/105

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À ce cri, tous les promeneurs du palais s’étaient réunis autour de lui en criant : Aux armes !

Nous l’avons déjà dit, tous les régiments étrangers étaient massés autour de Paris. On eût dit une invasion autrichienne : le nom de ces régiments effarouchaient les oreilles françaises : c’étaient Reynac, Salis-Samade, Diesbach, Esterhazy, Rœhmer ; il n’y avait qu’à les nommer pour faire comprendre à la foule que l’on prononçait des noms ennemis. Le jeune homme les nomma ; annonça que les suisses, campés aux Champs Élysées avec quatre pièces de canon, devaient entrer le même soir dans Paris, précédés des dragons du prince de Lambesc. Il proposa une cocarde nouvelle qui ne fût pas la leur, arracha une feuille de marronnier et la mit à son chapeau. À l’instant même, tous les assistants l’avaient imité. Trois mille personnes avaient, eu dix minutes, dépouillé les arbres du Palais-Royal.

Le matin le nom du jeune homme était ignoré, le soir il était dans toutes les bouches.

Ce jeune homme se nommait Camille Desmoulins.

On se reconnut, on fraternisa, on s’embrassa ; puis le cortège continua sa route.

Pendant le moment de halte qui venait d’être fait, la curiosité de ceux qui ne pouvaient rien voir, même en se haussant sur la pointe des pieds, avait surchargé Margot d’un nouveau poids à sa bride, à sa selle, à sa croupière, à ses étriers ; de sorte qu’au moment de se remettre en marche, la pauvre bête s’était littéralement écroulée sous le poids qui la surchargeait.

Au coin de la rue Richelieu, Billot jeta un regard en arrière, Margot avait disparu.

Il poussa un soupir adressé à la mémoire de la malheureuse bête ; puis, réunissant toutes les forces de sa voix, il appela trois fois Pitou, comme faisaient les Romains aux funérailles de leurs parents ; il lui sembla entendre sortir du sein de la foule une voix qui répondait à sa voix. Mais cette voix était perdue dans les clameurs confuses qui montaient au ciel, moitié menaces, moitié acclamations.

Le cortège marchait toujours.

Toutes les boutiques étaient fermées : mais toutes les fenêtres étaient ouvertes, et de toutes les fenêtres sortaient des encouragements qui tombaient pleins d’enivrement sur les promeneurs.

On arriva ainsi à la place Vendôme.

Mais, arrivé là, le cortége fut arrêté par un obstacle imprévu.

Pareille à ces troncs d’arbres que roulent les flots d’une rivière débordée et qui, rencontrant la pile d’un pont, rebondissent en arrière