Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/119

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Billot était déjà levé et Pitou se soulevait, quand la demie sonna.

— Mais, dit Billot, à onze heures et demie le collége Louis-le-Grand sera fermé, ce me semble. — Oh ! bien certainement, dit Pitou. — Puis, la nuit, on peut tomber dans un poste ennemi ; il me semble que je vois deux feux de bivouac du côté du palais de justice ; on m’arrêtera ou l’on me tuera ; tu as raison, Pitou, il ne faut pas qu’on m’arrête, il ne faut pas qu’on me tue.

C’était la troisième fois depuis le matin que Billot faisait résonner aux oreilles de Pitou ces trois mots si flatteurs pour l’orgueil humain :

— Tu as raison.

Pitou trouva qu’il n’avait rien de mieux à faire que de répéter les paroles de Billot.

— Vous avez raison, répéta-t-il en se couchant sur le gazon. Il ne faut pas qu’on vous tue, cher monsieur Billot.

Et cette fin de phrase s’éteignit dans le gosier de Pitou. Vox faucibus hæsit, aurait-il pu dire s’il eût veillé, mais il dormait.

Billot ne s’en aperçut pas.

— Une idée, dit-il. — Ah ! ronfla Pitou. — Écoute-moi, j’ai une idée ; malgré toutes les précautions que je prends, je puis être tué, tué de près ou frappé de loin, frappé à mort peut-être et mourir sur le coup ; si cela arrivait, il faut que tu saches ce que tu dois dire à ma place au docteur Gilbert ; mais sois muet, Pitou.

Pitou n’entendait pas, et par conséquent ne répondit point.

— Si j’étais blessé à mort et que je ne pusse pas accomplir ma mission, tu irais à ma place trouver le docteur Gilbert, et tu lui dirais… m’entends-tu bien, Pitou ? dit le fermier en se baissant vers le jeune homme, et tu lui dirais… Mais il ronfle, le malheureux.

Toute l’exaltation de Billot tomba devant le sommeil de Pitou.

— Dormons donc, dit-il.

Et il s’étendit près de son compagnon sans trop grommeler. Car, quelque habitué que fût le fermier à la fatigue, la course de la journée et les événements du soir n’étaient pas pour lui sans puissance soporative.

Et le jour parut après trois heures de leur sommeil, ou plutôt de leur engourdissement.

Lorsqu’ils rouvrirent les yeux, Paris n’avait rien perdu de cette farouche physionomie qu’ils lui avaient vue la veille, seulement, plus de soldats, le peuple partout.

Le peuple s’armant de piques fabriquées à la hâte, de fusils dont la plupart ne savaient pas se servir, d’armes magnifiques d’un autre âge, dont les porteurs admiraient les ornements d’or, d’ivoire et de nacre, sans en comprendre l’usage et le mécanisme.