Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/120

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Aussitôt après la retraite des soldats, on avait pillé le Garde-Meuble.

Et le peuple roulait vers l’hôtel de ville deux petits canons.

Le tocsin sonnait à Notre-Dame, à l’hôtel de ville, à toutes les paroisses. On voyait sortir, d’où  ? l’on n’en savait rien, de dessous les pavés, des légions d’hommes et de femmes pâles, maigres, nus, qui, la veille encore, criaient :

Du pain !

Et qui aujourd’hui criaient :

Des armes !

Rien de sinistre comme ces bandes de spectres qui, depuis un ou deux mois, arrivaient de la province, passant les barrières silencieusement et s’installant dans Paris, affamé lui-même comme les goules arabes dans un cimetière.

Ce jour-là toute la France, représentée à Paris par les affamés de chaque province, criait, à son roi :

— Faites-nous libres !

À son Dieu :

— Rassasiez-nous !

Billot, réveillé le premier, réveilla Pitou, et tous deux s’acheminèrent vers le collége Louis-le-Grand, regardant autour d’eux en frissonnant, épouvantés qu’ils étaient par ces misères sanglantes.

À mesure qu’ils avançaient vers ce que nous appelons aujourd’hui le Quartier-Latin, à mesure qu’ils remontaient la rue de La Harpe, à mesure enfin qu’ils pénétraient vers la rue Saint-Jacques, but de leur course, ils voyaient, comme au temps de La Fronde, s’élever des barricades. Les femmes et les enfants transportaient aux étages supérieurs des maisons : livres in-folio, meubles lourds, marbres précieux destinés à écraser les soldats étrangers, dans le cas où ils se hasarderaient à s’aventurer dans les rues tortueuses et étroites du vieux Paris.

De temps en temps, Billot remarquait un ou deux gardes-françaises formant le centre de quelque rassemblement, qu’ils organisaient, et auquel, avec une rapidité merveilleuse, ils apprenaient le maniement du fusil, exercice que les femmes et les enfants suivaient avec curiosité et presqu’avec le désir de l’apprendre eux-mêmes.

Billot et Pitou trouvèrent le collége Louis-le-Grand en insurrection ; les écoliers s’étaient soulevés et avaient chassé leurs maîtres. Au moment où le fermier et son compagnon arrivaient devant la grille, les écoliers assiégeaient cette grille avec des menaces, auxquelles répondait par des pleurs le principal épouvanté.

Le fermier regarda un instant cette révolte intestine, et tout à coup, d’une voix de stentor :