Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/131

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Mesdames s’élancent ; on montera à cheval, on crèvera un cheval, deux chevaux, dix chevaux, mais on rattrapera le page.

C’est inutile, et l’on ne crèvera rien du tout.

En descendant, le page a accroché une marche et cassé son éperon. Le moyen d’aller ventre à terre avec un seul éperon.

D’ailleurs, le chevalier d’Abzac est chef de la grande écurie, et il ne laisserait pas monter un courrier à cheval, lui qui passe l’inspection des courriers, si ce courrier devait partir d’une manière qui ne fît pas honneur à l’écurie royale.

Le page ne partira donc qu’avec les deux éperons.

Il en résulte qu’au lieu de rattraper le page sur la route d’Arnouville, courant à franc étrier, on le rattrapera dans la cour du château.

Il était en selle et prêt à partir dans une tenue irréprochable.

On lui reprend le pli, on laisse le texte, qui était aussi bon pour l’un que pour l’autre. Seulement, au lieu d’écrire sur l’adresse : à monsieur de Machaut, à Arnouville, Mesdames écrivent : à monsieur le comte de Maurepas, à Pontchartrain.

L’honneur de l’écurie royale est sauvé, mais la monarchie est perdue.

Avec Maurepas et Calonne, tout va à merveille : l’un chante, l’autre paie ; puis après les courtisans, il y a encore les fermiers généraux, qui font bien aussi leur office.

Louis XIV commença son règne par faire pendre deux fermiers généraux sur l’avis de Colbert ; après quoi il prend La Vallière pour maîtresse et fait bâtir Versailles. La Vallière ne lui coûtait rien.

Mais Versailles, où il voulait la loger, lui coûtait cher.

Puis en 1685, sous prétexte qu’ils sont protestants, on chasse un million d’hommes industrieux de la France.

Aussi, en 1707, sous le grand roi encore, Boisguilbert dit-il en parlant de 1698 :

— Cela allait encore dans ce temps-là ; dans ce temps-là il y avait encore de l’huile dans la lampe. Aujourd’hui tout a pris fin faute de matière.

Que dira-t-on quatre-vingts ans après, mon Dieu ! quand les Dubarry, les Polignac auront passé sur tout cela. Après avoir fait suer l’eau au peuple, on lui fera suer le sang ; voilà tout.

Et tout cela avec des formes si charmantes !

Autrefois les traitants étaient durs, brutaux et froids comme les portes des prisons dans lesquelles ils jetaient leurs victimes.

Aujourd’hui ce sont des philanthropes : d’une main ils dépouillent le peuple, c’est vrai ; mais de l’autre ils lui bâtissent des hôpitaux.

Un de mes amis, grand financier, m’a assuré que sur cent vingt mil-