Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/152

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— Remettre ce papier. — De qui est-il ? — De Marat, le médecin. — De Marat ! Tu connais Marat ? s’écria l’homme. — Je le quitte. — Où cela ? — À l’hôtel de ville. — Que fait-il ? — Il est allé armer vingt mille hommes aux Invalides. — En ce cas, donne-moi ce papier, je suis Gonchon.

Billot recula d’un pas.

— Tu es Gonchon ? demanda-t-il. — Amis, dit l’homme en haillons, on voilà un qui ne me connaît pas, et qui demande si c’est bien vrai que je suis Gonchon.

La foule éclata de rire ; il semblait à tous ces hommes qu’il était impossible que l’on ne connût pas son orateur favori.

— Vive Gonchon ! crièrent deux ou trois mille voix. — Tenez, dit Billot, en lui présentant le papier. — Amis, dit Gonchon après avoir lu, et il frappa sur l’épaule de Billot, c’est un frère ;  ! Marat me le recommande ; on peut donc compter sur lui. Comment t’appelles-tu ? — Je m’appelle Billot. — Et moi, dit Gonchon, je m’appelle Hache ; et, à nous deux, j’espère que nous allons faire quelque chose. La foule sourit au sanglant jeu de mot.

— Oui, oui, nous allons faire quelque chose, dit-elle. — Eh bien ! qu’allons-nous faire ? demandèrent quelques voix. — Eh ! pardieu ! dit Gonchon, nous allons prendre la Bastille. — À la bonne heure ! dit Billot, voilà qui s’appelle parler. Écoute, brave Gonchon, de combien d’hommes disposes-tu ? — De trente mille hommes à peu près. — Trente mille hommes dont tu disposes, vingt mille qui vont nous arriver des Invalides, et dix mille qui sont déjà ici, c’est plus qu’il ne nous en faut pour réussir, ou nous ne réussirons jamais. — Nous réussirons, dit Gonchon. — Je le crois. Eh bien ! réunis tes trente mille hommes ; moi, j’entre chez le gouverneur, je le somme de se rendre ; s’il se rend, tant mieux, nous épargnons du sang ; s’il ne se rend pas, eh bien ! le sang versé retombera sur lui, et par le temps qui court le sang versé pour une cause injuste porte malheur. Demandez aux allemands. — Combien de temps resteras-tu avec le gouverneur ? — Le plus longtemps que je pourrai, jusqu’à ce que la Bastille soit investie tout à fait ; si c’est possible, quand je sortirai, l’attaque commencera. — C’est dit. — Tu ne te défies pas de moi ? demanda Billot à Gonchon en lui tendant la main. — Moi ! répondit Gonchon avec un sourire de dédain et en serrant cette main que lui présentait le robuste fermier avec une vigueur que l’on ne se fût point attendu à trouver dans ce corps hâve et décharné ; moi, me défier de loi ? Et pourquoi ? Quand je voudrai, sur un mot, sur un signe, je te ferai piler comme verre, fusses-tu à l’abri de ces tours, qui demain n’existeront plus ; fusses-tu protégé par ces soldats, qui ce soir seront à nous