Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/169

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À la vue de cet homme que son caractère rendait sacré, et que l’on emporte couvert de sang, la foule s’exalte de nouveau. Les deux aides de camp de Gonchon sont revenus prendre place à ses côtés ; mais chacun d’eux a eu le temps d’aller chez lui changer de costume.

Il est vrai que l’un demeure près de l’Arsenal, et l’autre rue de Charonne.

Hullin, d’abord horloger de Genève, puis chasseur du marquis de Conflans, revient avec son habit de livrée qui ressemble à un costume d’officier hongrois.

Élie, ex-officier au régiment de la reine, a été revêtir son uniforme, qui donnera plus de confiance au peuple, en lui faisant croire que l’armée est pour lui et avec lui.

Le feu recommence avec plus d’acharnement que jamais. En ce moment, le major de la Bastille, monsieur de Losme, s’approcha du gouverneur.

C’était un brave et honnête soldat, mais il était resté du citoyen en lui, et il voyait avec douleur ce qui se passait, et surtout ce qui allait se passer.

— Monsieur, lui dit-il, nous n’avons pas de vivres, vous le savez ? — Je le sais, répliqua de Launay. — Vous savez aussi que nous n’avons pas d’ordre ? — Je vous demande pardon, monsieur de Losme, j’ai ordre de fermer la Bastille, voilà pourquoi ou m’en donne les clés. — Monsieur, les clés servent aussi bien à ouvrir les portes qu’à les fermer. Prenez garde de faire massacrer toute la garnison sans sauver le château. Deux triomphes pour le même jour. Regardez, ces hommes que nous tuons, ils repoussent sur le pavé. Ce matin ils étaient cinq cents, il y a trois heures ils étaient dix mille, ils sont plus de soixante mille à présent, demain ils seront cent mille. Quand nos canons se tairont, et il faudra bien qu’ils finissent par là, ils seront assez forts pour démolir la Bastille avec leurs mains. — Vous ne parlez pas comme un militaire, monsieur de Losme. — Je parle comme un Français, Monsieur. Je dis que Sa Majesté ne nous ayant donné aucun ordre… Je dis que monsieur le prévôt des marchands nous ayant fait faire une proposition fort acceptable, qui était celle d’introduire cent hommes de garde bourgeoise dans le château, vous pouvez, pour éviter les malheurs que je prévois, accéder à la proposition de monsieur de Flesselles. — À votre avis, monsieur de Losme, le pouvoir représentant la ville de Paris est donc une ; l’autorité à laquelle nous devons obéir ? — En l’absence de l’autorité directe de Sa Majesté, oui, Monsieur, c’est mon avis. — Eh bien ! dit de Launay en attirant le major dans un angle de la cour : lisez, monsieur de Losme.