maigre que des jambes, il ne restait plus qu’une arête pareille à la ligne géométrique, ni largeur ni épaisseur.
Il avait adopté un recoin dans le passage du premier pont-levis au second, une sorte de parapet vertical formé par des saillies de pierre ; sa tête se trouvait garantie par une de ces pierres, son ventre par une autre, ses genoux par une troisième, et Pitou s’applaudissait que la nature et l’art des fortifications se fussent si agréablement combinés qu’une pierre lui fût donnée pour garantir chacun des endroits où une blessure pouvait être mortelle.
De son angle, où il était rasé comme un lièvre dans son gîte, il tirait çà et là un coup de fusil par acquit de conscience, car il n’avait en face de lui que des murs et des morceaux de bois ; mais cela faisait évidemment plaisir au père Billot, qui lui criait :
— Tire donc, paresseux, tire !
Et lui, à son tour, interpellant le père Billot pour calmer son ardeur au lieu de l’exciter, lui criait :
— Mais ne vous découvrez pas ainsi, père Billot. Ou bien :
— Prenez garde à vous, monsieur Billot, rentrez ; voilà le canon qui tire ; à vous, voilà le chien de la musette qui claque. Et à peine Pitou avait-il prononcé ces paroles pleines de prévoyance, que la canonnade ou la fusillade éclatait, et que la mitraille balayait le passage.
Malgré toutes ces injonctions, Billot faisait des prodiges de force et de mouvements, le tout en pure perte. Ne pouvant dépenser son sang, et certes ce n’était pas sa faute, il dépensait sa sueur en larges gouttes. Dix fois Pitou le saisit par la basque de son habit et le coucha malgré lui à terre, juste au moment où une décharge l’eût écrasé. Mais Billot se relevait toujours, non-seulement comme Antée, plus fort qu’auparavant, mais avec une nouvelle idée. Tantôt cette idée consistait à aller, sur le bois même du tablier du pont, hacher les solivecîix qui retenaient les chaînes, comme il avait déjà fait.
Alors Pitou poussait des hurlements pour retenir le fermier, puis voyant que ces hurlements étaient inutiles, il s’élançait hors de son abri en disant :
— Monsieur Billot, cher monsieur Billot, mais madame Billot sera veuve, si vous êtes tué !
Et l’on voyait les suisses passer obliquement le canon de leurs fusils par la meurtrière de la musette, pour atteindre l’audacieux qui essayait de mettre leur pont en copeaux.