Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diquer l’endroit où je pourrais le trouver. — Vous le trouverez à Bruxelles, Monsieur.

Gilbert arrêta sur la baronne son regard scrutateur.

— Merci, Madame, dit-il en s’inclinant ; je vais donc partir pour Bruxelles, ayant à lui dire des choses de la plus haute importance.

Madame de Staël fit un mouvement d’hésitation, puis elle reprit :

— Heureusement que je vous connais, Monsieur, dit-elle, et que je vous sais un homme sérieux, car ces choses si importantes pourraient bien perdre de leur valeur en passant par une autre bouche… Que peut-il y avoir d’important pour mon père après la disgrâce, après le passé ?

— Il y a l’avenir, Madame. Et peut-être ne dois-je pas être tout à fait sans influence sur l’avenir. Mais tout cela est inutile. L’important pour moi et pour lui est que je revoie monsieur de Necker… Ainsi, Madame, vous dites qu’il est à Bruxelles ? — Oui, Monsieur. — Je mettrai vingt heures pour faire le voyage. Savez-vous ce que c’est que vingt heures en temps de révolution, et combien de choses se peuvent passer en vingt heures ? Oh ! quelle imprudence a commise monsieur de Necker, Madame, en mettant vingt heures entre lui et les événements, entre la main et le but ! — En vérité. Monsieur, vous m’effrayez, dit madame de Staël, et je commence à croire en effet que mon père a commis une imprudence. — Que voulez-vous, Madame, les choses sont ainsi, n’est-ce pas ? Je n’ai donc plus qu’à vous présenter mes très-humbles excuses pour le dérangement que je vous ai causé. Adieu, Madame.

Mais la baronne l’arrêta.

— Je vous dis. Monsieur, que vous m’effrayez, reprit-elle ; vous me devez une explication de tout ceci, quelque chose qui me rassure. — Hélas ! Madame, répondit Gilbert, j’ai dans ce moment tant d’intérêts personnels à surveiller, qu’il m’est absolument impossible de songer à ceux des autres ; il y va de ma vie et de mon honneur, comme il y allait de la vie et de l’honneur de monsieur de Necker, s’il eût pu profiter tout de suite des paroles que je lui dirai dans vingt heures. — Monsieur, permettez-moi de me souvenir d’une chose que j’ai trop longtemps oubliée, c’est que de pareilles questions ne doivent pas se débattre à ciel ouvert, dans un parc, à portée de toutes les oreilles. — Madame, dit Gilbert, je suis chez vous, et permettez-moi de vous dire que c’est vous qui, par conséquent, avez choisi l’endroit où nous sommes. Que voulez-vous ? Je suis à vos ordres. — Que vous me fassiez la grâce d’achever cette conversation dans mon cabinet. — Ah ! ah ! fit Gilbert intérieurement, si je ne craignais de l’embarrasser, je lui demanderais si son cabinet est à Bruxelles.