Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/245

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sa compagnie ; rien ! Vous, un prince lorrain, vous venez dire cela à la reine de France au moment où le peuple, de votre aveu, tue et brûle, vous venez dire qu’il n’y a rien à faire !

Un nouveau murmure, mais approbateur cette fois, accueillit les paroles de Marie-Antoinette.

Elle se retourna, embrassa d’un regard tout le cercle qui l’enveloppait et, parmi tous ces yeux flamboyants, cherchait ceux qui lançaient le plus de flammes, croyant y lire le plus de fidélité.

— Rien ! reprit le prince, parce qu’en laissant le Parisien se calmer, et il se calmera ; il n’est belliqueux que lorsqu’on l’exaspère. Pourquoi lui donner les honneurs d’une lutte et risquer la chance d’un combat ? Tenons-nous tranquilles, et dans trois jours il ne sera plus question de rien dans Paris. — Mais la Bastille, Monsieur ! — La Bastille ! on en fermera les portes, et ceux qui l’auront prise seront pris, voilà tout.

Quelques frémissements de rire se firent entendre parmi le groupe silencieux.

La reine reprit :

— Prenez garde, prince, voilà que maintenant vous me rassurez trop.

Et, pensive, le menton appuyé dans la paume de sa main, elle alla trouver madame de Polignac qui, pâle et triste semblait absorbée en elle-même.

La comtesse avait écouté toutes ces nouvelles avec un effroi visible ; elle ne sourit que lorsque la reine s’arrêta en face d’elle, lui sourit, et encore ce sourire était-il pâle et décoloré comme une fleur mourante.

— Eh bien ! comtesse, demanda la reine, que dites-vous de tout ceci ? — Hélas ! rien, répliqua-t-elle. — Comment, rien ! — Non.

Et elle secoua la tête avec une expression d’indicible découragement.

— Allons ! allons ! dit tout bas la reine en se penchant à l’oreille de la comtesse, l’amie Diane est une peureuse.

Puis tout haut :

— Mais où est donc madame de Charny, l’intrépide ? Nous avons besoin d’elle pour nous rassurer, ce me semble. — La comtesse allait sortir, quand on l’a appelée chez le roi. — Ah ! chez le roi, répondit distraitement Marie-Antoinette.

Et alors seulement la reine s’aperçut du silence étrange qui s’était fait autour d’elle.

C’est que les événements inouïs, incroyables, dont les nouvelles étaient successivement parvenues jusqu’à Versailles comme des coups redoublés, avaient terrassé les cœurs les plus fermes, plus encore peut-être par l’étonnement que par la crainte.