Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/25

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d’art, si elle eût été moins productive comme objet de rapport. Cela n’empêchait pas, malgré le mépris qu’il faisait lui-même de cette chasse si facile, que pas un des plus experts ne savait comme Pitou couvrir de fougère une mare trop grande pour être complètement tendue, c’est le mot technique ; que nul ne savait comme Pitou donner l’inclinaison convenable à ses gluaux, de manière à ce que les oiseaux les plus rusés ne pussent boire ni par-dessus ni par-dessous ; enfin, que nul n’avait cette sûreté de main et cette justesse de coup d’œil qui doit présider au mélange en portions inégales et savantes de la poix-résine, de l’huile et de la glu, pour que cette glu ne devienne ni trop liquide ni trop cassante. Or, comme l’estime qu’on fait des qualités des hommes change selon le théâtre où ils produisent ces qualités, et selon les spectateurs devant lesquels ils les produisent, Pitou, dans son village d’Haramont, au milieu de ces paysans, c’est-à-dire d’hommes habitués à demander au moins la moitié de leurs ressources à la nature, et, comme tous les paysans, ayant la haine instinctive de la civilisation, Pitou, disons-nous, jouissait d’une considération qui ne permettait pas à sa pauvre mère de supposer qu’il marchât dans une fausse voie, et que l’éducation la plus parfaite qu’on pût donner à grands frais à un homme ne fût point celle que son fils, privilégié sous ce rapport, se donnait gratis à lui-même. Mais quand la bonne femme tomba malade, quand elle sentit la mort venir, quand elle comprit qu’elle allait laisser son enfant seul et isolé dans le monde, elle se prit à douter, et elle chercha un appui au futur orphelin. Elle se souvint alors que dix ans auparavant un jeune homme était venu frapper à sa porte au milieu de la nuit, lui apportant un enfant nouveau-né, pour lequel il lui avait, non-seulement laissé comptant une somme assez ronde, mais pour lequel une autre somme plus ronde encore avait été déposée chez un notaire de Villers-Cotterets. De ce jeune homme mystérieux, d’abord elle n’avait rien su, sinon qu’il s’appelait Gilbert ; mais il y avait trois ans à peu près, elle l’avait vu reparaître : c’était alors un homme de vingt-sept ans, à la tournure un peu raide, à la parole dogmatique, à l’abord un peu froid. Mais cette première couche de glace s’était fondue quand il avait revu son enfant ; et comme il l’avait trouvé beau, fort et souriant, élevé comme il l’avait demandé lui-même, en tête-à-tête avec la nature, il avait serré la main de la bonne femme et lui avait dit ces seules paroles :

— Dans le besoin comptez sur moi.

Puis il avait pris l’enfant, s’était informé du chemin d’Ermenonville, avait fait avec son fils un pèlerinage au tombeau de Rousseau, et était revenu à Villers-Cotterets. Là, séduit sans doute par l’air sain qu’on y respirait, par le bien que le notaire lui avait dit de la pension de l’abbé