Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/254

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n’est point ma volonté qui me dicte ce que j’ai à faire, c’est l’ordre du destin. — Oui, duchesse, fit Marie-Antoinette.

Et se retournant vers la comtesse Jules :

— Et vous, comtesse, vous dites donc ?

La comtesse répondit par une larme brûlante comme un remords, mais toute sa force s’était épuisée dans l’effort qu’elle avait fait.

— Bien, dit la reine, bien ; il m’est doux de voir combien je suis aimée. Merci, comtesse ; oui, vous courez ici des dangers ; oui, la rage de ce peuple ne connaît plus de frein ; oui, vous avez toutes raison, et moi seule j’étais folle. Vous demandez à rester, c’est du dévouement ; mais je n’accepte pas ce dévouement.

La comtesse Jules leva ses beaux yeux sur la reine. Mais la reine, au lieu d’y lire le dévouement de l’amie, n’y lut que la faiblesse de la femme.

— Ainsi, duchesse, reprit la reine, vous êtes décidée à partir, vous ?

Et elle appuya sur ce mot, vous.

— Oui, Votre Majesté. — Sans doute pour quelqu’une de vos terres… éloignée… fort éloignée ?… — Madame, pour partir, pour vous quitter, cinquante lieues sont aussi douloureuses à franchir que cent cinquante. — Mais vous allez donc à l’étranger ? — Hélas ! oui, Madame.

Un soupir déchira le cœur de la reine, mais ne sortit pas de ses lèvres.

— Et où allez-vous ? — Sur les bords du Rhin, Madame. — Bien. Vous parlez allemand, comtesse, dit la reine avec un sourire d’une indéfinissable tristesse, et c’est moi qui vous l’ai appris. L’amitié de votre reine vous aura, du moins, servi à cela, et j’en suis heureuse.

Se retournant alors vers la comtesse Jules :

— Je ne veux pas vous séparer, ma chère comtesse, dit-elle. Vous désirez rester, et j’apprécie ce désir. Mais moi, moi qui crains pour vous, je veux que vous partiez, je vous ordonne de partir !

Et elle s’arrêta en cet endroit, étouffée par des émotions que, malgré son héroïsme, elle n’eût peut-être pas eu la force de contenir, si tout à coup la voix du roi, qui n’avait pris aucune part à tout ce que nous venons de raconter, n’avait retenti à son oreille.

Sa Majesté en était au dessert.

— Madame, disait le roi, il y a quelqu’un chez vous ; on vous avertit.

— Mais, sire, s’écria la reine, abjurant tout autre sentiment que celui de la dignité royale, d’abord vous avez des ordres à donner. Voyez, il n’est resté ici que trois personnes ; mais ce sont celles à qui vous avez affaire : monsieur de Lambesc, monsieur de Bezenval et monsieur de Broglie. Des ordres, sire, des ordres !

Le roi leva un œil alourdi, hésitant.