Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/257

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Marie-Antoinette posa sa main sur son front.

— Votre front brûle, dit-elle. — Oui, j’ai un volcan dans la tête. — Votre main est glacée.

Et elle pressa la main du comte entre les deux siennes.

— Mon cœur est touché du froid de la mort, dit-il. — Pauvre Olivier ! je vous l’avais bien dit, oublions. Je ne suis plus reine ; je ne suis plus menacée ; je ne suis plus haïe. Non, je ne suis plus reine ; je suis femme, voilà tout. L’univers, qu’est-ce pour moi ? Un cœur qui m’aime, cela me suffirait.

Le comte tomba à genoux devant la reine, et lui baisa les pieds avec ce respect que les Égyptiens avaient pour la déesse Isis.

— Oh ! comte, mon seul ami, dit la reine en essayant de le relever, savez-vous ce que me fait la duchesse Diane ? — Elle émigre, répondit Charny sans hésiter. — Il a deviné ! Hélas ! on pouvait donc deviner cela ? — Oh ! mon Dieu ! oui, Madame, répondit le comte ; tout peut s’imaginer en ce moment. — Mais vous et les vôtres ! s’écria la reine, pourquoi n’émigrez-vous pas, puisque c’est chose si naturelle ? — Moi, d’abord, Madame, je n’émigre point, parce que je suis profondément dévoué à Votre Majesté, et que je me suis promis, non pas à elle, mais à moi-même, de ne pas la quitter un seul instant pendant l’orage qui se prépare. Mes frères n’émigreront pas, parce que ma conduite sera l’exemple sur lequel ils régleront la leur ; enfin, madame de Charny n’émigrera pas, parce qu’elle aime sincèrement, je le crois du moins, Votre Majesté. — Oui, Andrée est un cœur noble, dit la reine avec une froideur visible. — Voilà pourquoi elle ne quittera point Versailles, répondit monsieur de Charny. — Alors, je vous aurai toujours près de moi ? dit la reine de ce même ton glacial, qui était nuancé, pour ne laisser sentir que sa jalousie ou son dédain. — Votre Majesté m’a fait l’honneur de me nommer lieutenant des gardes, dit le comte de Charny, mon poste est à Versailles ; je n’eusse point quitté mon poste, si Votre Majesté ne m’avait donné la garde des Tuileries. C’est un exil nécessaire, m’a dit la reine, et je suis parti pour cet exil. Or, dans tout cela, Votre Majesté le sait, madame la comtesse de Charny ne m’a pas plus approuvé qu’elle n’a été consultée. — C’est vrai, répondit la reine toujours glacée. — Aujourd’hui, continua le comte avec intrépidité, je crois que mon poste n’est plus aux Tuileries, mais à Versailles. Eh bien ! n’en déplaise à la reine, j’ai violé ma consigne, choisissant ainsi mon service, et me voici. Que madame de Charny ait ou n’ait pas peur des événements, qu’elle veuille ou ne veuille pas émigrer, moi je reste auprès de la reine… à moins que la reine ne brise mon épée : auquel cas, n’ayant plus le droit de combattre et de mourir pour elle sur le parquet de Ver-