Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/269

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Andrée regarda encore une fois son mari et la reine, mais ne répondit pas.

— Mais certainement, c’est cela, comte. Pourquoi en douteriez-vous ? répondit Marie-Antoinette. Madame la comtesse n’est point reine ; elle a droit d’avoir peur pour son mari.

Charny sentit la jalousie cachée sous cette phrase.

— Oh ! Madame, dit-il, je suis bien sûr que la comtesse a encore plus peur pour sa souveraine que pour moi. — Mais enfin, demanda Marie-Antoinette, pourquoi et comment nous avons-vous trouvée évanouie dans ce cabinet, comtesse ? — Oh ! cela me serait impossible à raconter, Madame. Je l’ignore moi-même ; mais dans cette vie de fatigue, de terreur et d’émotions que nous menons depuis trois jours, rien n’est plus naturel, ce me semble, que l’évanouissement d’une femme. — C’est vrai, murmura la reine s’apercevant qu’Andrée ne voulait point être forcée dans sa retraite. — Mais, reprit Andrée à son tour avec le calme étrange qui ne la quittait plus dès qu’elle était redevenue maîtresse de sa volonté, et qui était d’autant plus embarrassant dans les circonstances difficiles qu’on voyait facilement qu’il n’était qu’affectation et couvrait des sentiments tout à fait humains ; mais Votre Majesté elle-même a les yeux tout humides.

Et cette fois encore, le comte crut trouver dans les paroles de sa femme cet accent ironique qu’il avait remarqué un instant auparavant dans les paroles de la reine.

— Madame, dit-il à Andrée avec une légère sévérité à laquelle on sentait que sa voix n’était pas accoutumée, il n’est pas étonnant que la reine sente des pleurs dans ses yeux, la reine aime son peuple, et le sang du peuple a coulé. — Dieu a épargné heureusement le vôtre, Monsieur, dit Andrée toujours aussi froide, toujours aussi impénétrable. — Oui, mais ce n’est pas de Sa Majesté qu’il s’agit, Madame, c’est de vous ; revenons donc à vous, la reine le permet.

Marie-Antoinette fit un signe de tête en manière d’adhésion.

— Vous avez eu peur, n’est-ce pas ? — Moi ? — Vous avez souffert, ne le niez pas ; il vous est arrivé un accident : lequel ? je n’en sais rien, mais vous allez nous le dire. — Vous vous trompez, Monsieur. — Vous avez eu à vous plaindre de quelqu’un, d’un homme ?

Andrée pâlit.

— Je n’ai eu à me plaindre de personne, Monsieur ; je viens de chez le roi. — Directement ? — Directement. Sa Majesté peut s’informer. — S’il en est ainsi, dit Marie-Antoinette, ce serait la comtesse qui aurait raison. Le roi l’aime trop et sait que de mon côté je lui porte une trop vive affection pour l’avoir désobligée en quelque chose que ce soit. —