Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/276

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bon Dieu vous entende ! s’écria Louis XVI ; que monsieur d’Artois s’en aille, je lui dirai ce que j’ai dit aux autres : Bon voyage, mon frère d’Artois, bon voyage ! — Ah ! votre frère ! s’écria Marie-Antoinette. — Avec cela qu’il est regrettable ! un bon petit garçon qui ne manque ni d’esprit ni de courage, je le sais bien, mais qui n’a pas de cervelle ; qui joue au prince français comme un raffiné du temps de Louis XIII ; un brouillon, un imprudent, qui vous compromet, vous, la femme de César. — César ! murmura la reine avec une sanglante ironie. — Ou Claude, si vous l’aimez mieux, répondit le roi ; car vous savez. Madame, que Claude était un César comme Néron.

La reine baissa la tête. Ce sang-froid historique la confondait.

— Claude, poursuivit le roi, puisque vous préférez le nom de Claude à celui de César, Claude fut forcé un soir, vous le savez, de faire fermer la grille de Versailles, afin de vous donner une leçon lorsque vous rentriez trop tard. Cette leçon, c’était monsieur le comte d’Artois qui vous la valait. Je ne regretterai donc pas monsieur le comte d’Artois. Quant à ma tante, eh bien ! on sait ce qu’on sait sur elle. En voilà encore une qui mérite d’être de la famille des Césars ! Mais je ne dis rien, parce qu’elle est ma tante. Aussi, qu’elle parte, et je ne la regretterai pas non plus. C’est comme monsieur de Provence, croyez-vous que je le regrette, lui ? Monsieur de Provence part-il ? Bon voyage ! — Oh ! lui ne parle pas de s’en aller. — Tant pis ! Voyez-vous, ma chère, monsieur de Provence sait trop bien le latin pour moi ; il me force de parler anglais pour lui rendre la pareille. Monsieur de Provence, c’est lui qui nous a mis Beaumarchais sur le dos, en le faisant fourrer à Bicêtre, au Fort-Lévêque, je ne sais où, de son autorité privée, et celui-là nous l’a bien rendu aussi, monsieur de Beaumarchais. Ah ! il reste monsieur de Provence ! Tant pis, tant pis ! Savez-vous une chose, Madame, c’est que près de vous je ne connais qu’un honnête homme, monsieur de Charny.

La reine rougit et se détourna.

— Nous parlions de la Bastille, continua le roi après un court silence… et vous déploriez qu’elle fût prise ? — Mais asseyez-vous au moins, sire, répondit la reine, puisque vous paraissez avoir encore beaucoup de choses à me dire. — Non, merci ; j’aime mieux parler en marchant ; en marchant, je travaille pour ma santé dont personne ne s’occupe ; car si je mange bien, je digère mal. Savez-vous ce que l’on dit dans ce moment-ci ? On dit : Le roi a soupé, le roi dort. Vous le voyez, vous, comme je dors. Je suis là, tout debout, essayant de digérer en causant politique avec ma femme. Ah ! Madame, j’expie ! j’expie !… — Et qu’expiez-vous, s’il vous plaît ? — J’expie les péchés d’un siècle dont je suis le bouc émissaire ; j’expie madame de Pompadour,