Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le docteur, nous l’avons déjà dit, était philosophe. On sait la valeur du mot philosophe à cette époque.

Il résolut donc, à l’instant même, d’arracher un néophyte aux Augustins, et tout cela avec le zèle que les Augustins, de leur côté, eussent pu mettre à enlever un adepte aux philosophes.

— Eh bien ! reprit-il en portant la main à sa poche profonde, puisque vous êtes dans une position si difficile, ma chère demoiselle Angélique, que vous soyez obligée, faute de ressources personnelles, de recommander votre neveu à la charité d’autrui, je chercherai quelqu’un qui puisse plus efficacement que vous appliquer à l’entretien du pauvre orphelin la somme que je lui destinais. Il faut que je retourne en Amérique. Je mettrai avant mon départ votre neveu Pitou en apprentissage chez quelque menuisier ou quelque charron. Lui-même, d’ailleurs, choisira sa vocation. Pendant mon absence, il grandira, et, à mon retour, eh bien ! il sera déjà savant dans le métier, et je verrai ce que l’on peut faire pour lui. Allons, mon pauvre enfant, embrasse ta tante, continua le docteur, et allons-nous-en.

Le docteur n’avait point achevé, que Pitou se précipitait vers la vénérable demoiselle, ses deux longs bras étendus ; il était fort pressé, en effet, d’embrasser sa tante, à la condition que le baiser serait, entre elle et lui, le signal d’une séparation éternelle.

Mais à ce mot : la somme, au geste du docteur introduisant sa main dans sa poche, au son argentin que cette main avait incontinent fait rendre à une masse de gros écus dont on pouvait calculer la quantité à la tension de l’habit, la vieille fille avait senti remonter jusqu’à son cœur la chaleur de la cupidité.

— Ah ! dit-elle, mon cher monsieur Gilbert, vous savez bien une chose ? — Laquelle ? demanda le docteur. — Eh ! mon Dieu ! c’est que personne ne l’aimera autant que moi, ce cher enfant !

Et, entrelaçant ses bras maigres aux bras étendus de Pitou, elle déposa sur chacune de ses joues un aigre baiser qui fit frissonner celui-ci de la pointe des pieds à la racine des cheveux.

— Oh ! certainement, dit le docteur, je sais bien cela. Et je doutais si peu de votre amitié pour lui, que je vous l’amenais directement comme à son soutien naturel. Mais ce que vous venez de me dire, chère demoiselle, m’a convaincu à la fois de votre bonne volonté et de votre impuissance, et vous êtes trop pauvre vous-même, je le vois bien, pour aider plus pauvre que vous. — Eh ! mon bon monsieur Gilbert, dit la vieille dévote, le bon Dieu n’est-il pas au ciel, et du ciel ne nourrit-il pas toutes ses créatures ? — C’est vrai, dit Gilbert, mais s’il donne la pâture aux oiseaux, il ne met pas les orphelins en apprentissage. Or, voilà ce qu’il