Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/31

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faut faire pour Ange Pitou, et ce qui, vu vos faibles moyens, vous coûtera trop cher, sans doute ? — Mais cependant, si vous donnez cette somme, monsieur le docteur ? — Quelle somme ? — La somme dont vous avez parlé, la somme qui est là dans votre poche, ajouta la dévote en allongeant son doigt crochu vers la basque de l’habit marron. — Je la donnerai assurément, chère demoiselle Angélique, dit le docteur ; mais je vous préviens que ce sera à une condition. — Laquelle ? — Celle que l’enfant aura un état. — Il en aura un, je vous le promets, foi d’Angélique Pitou ! monsieur le docteur, dit la dévote les yeux rivés sur la poche dont elle suivait le balancement. — Vous me le promettez ? — Je vous le promets. — Sérieusement, n’est-ce pas ? — En vérité du bon Dieu ! mon cher monsieur Gilbert, j’en fais serment !

Et demoiselle Angélique étendit horizontalement sa main décharnée.

— Eh bien ! soit, dit le docteur en tirant de sa poche un sac à la panse tout à fait rebondie, je suis prêt à donner l’argent, comme vous voyez ; de votre côté êtes-vous prête à me répondre de l’enfant ? — Sur la vraie croix ! monsieur Gilbert. — Ne jurons pas tant, chère demoiselle, et signons un peu plus. — Je signerai, monsieur Gilbert, je signerai. — Devant notaire ? — Devant notaire. — Alors, allons chez le papa Niguet.

Le papa Niguet, auquel, grâce à une longue connaissance, le docteur donnait ce titre amical, était, comme le savent déjà ceux de nos lecteurs qui sont familiers avec notre livre de Joseph Balsamo, le notaire le plus en réputation de l’endroit.

Mademoiselle Angélique, dont maître Niguet était aussi le notaire, n’eut rien à dire contre le choix fait par le docteur. Elle le suivit donc dans l’étude annoncée. Là le tabellion enregistra la promesse faite par demoiselle Rose-Angélique Pitou, de prendre à sa charge et de faire arriver à l’exercice d’une profession honorable Louis-Ange Pitou, son neveu, moyennant quoi elle toucherait annuellement la somme de deux cents livres. Le marché était passé pour cinq ans ; le docteur déposa huit cents livres chez le notaire, deux cents livres devant être payées d’avance.

Le lendemain, le docteur quitta Villers-Cotterets, après avoir réglé quelques comptes avec un de ses fermiers sur lequel nous reviendrons plus tard. Et mademoiselle Pitou, fondant comme un vautour sur les susdites deux cents livres payables d’avance, enfermait huit beaux louis d’or dans son fauteuil.

Quant aux huit livres restant, elles attendirent, dans une petite soucoupe de faïence qui avait, depuis trente ou quarante ans, vu passer des nuées de monnaies de bien des espèces, que la récolte de deux ou trois