Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sieur !… — Cela voudra dire : Il y a eu quelque justice dans la douleur du peuple. Je viens pardonner ; c’est moi qui suis le chef et le roi ; c’est moi qui suis à la tête de la révolution française, comme jadis Henri III s’est mis à la tête de la Ligue. Vos généraux sont mes officiers ; vos gardes nationaux, mes soldats ; vos magistrats, mes gens d’affaires. Au lieu de me pousser, suivez-moi si vous le pouvez. La grandeur de mon pas prouvera encore une fois que je suis le roi de France, le successeur de Charlemagne. — Il a raison, fit tristement le roi. — Oh ! s’écria la reine, sire, par grâce ! n’écoutez pas cet homme, cet homme est votre ennemi ! — Madame, lit Gilbert, voilà Sa Majesté qui vous dira elle-même ce qu’elle pense de mes paroles. — Je pense. Monsieur, dit le roi, que vous êtes jusqu’ici le seul qui ayez osé me dire la vérité. — La vérité ! s’écria la reine. Oh ! que me dites-vous là, grand Dieu ! — Oui, Madame, reprit Gilbert, et, croyez-le bien, la vérité, dans ce moment, est le seul flambeau qui puisse empêcher de rouler dans l’abîme le trône et la royauté.

Et, en disant ces paroles, Gilbert s’inclina humblement jusque sur les genoux de Marie-Antoinette.


XXXIV

DÉCISION


Pour la première fois, la reine parut profondément touchée. Était-ce du raisonnement, était-ce de l’humilité du docteur ?

D’ailleurs, le roi s’était levé d’un air décidé. Il songeait à l’exécution.

Cependant, par cette habitude qu’il avait de ne rien faire sans consulter la reine :

— Madame, lui dit-il, approuvez-vous ?… — Il le faut bien. Monsieur, répondit Marie-Antoinette. — Je ne vous demande pas l’abnégation. Madame, dit le roi avec impatience. — Que demandez-vous donc alors ? — Je vous demande une conviction qui fortifie la mienne. — Vous me demandez une conviction ? — Oui. — Oh ! si ce n’est que cela, je suis convaincue. Monsieur. — De quoi ? — Que le moment est arrivé qui va faire de la monarchie l’état le plus déplorable et le plus avilissant qui existe au monde. — Oh ! dit le roi, vous exagérez. Déplorable, je le veux bien, mais avilissant, c’est impossible. — Monsieur, il vous a été