Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/320

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balles ennemies. J’ai pris mes mesures pour sauver de tout péril mon époux, mon roi, le père de mes enfants.

En même temps elle développait du linge de soie qui l’enfermait un gilet de fines mailles d’acier croisées avec un art si merveilleux, qu’on eût dit une étoffe arabe, tant le point de la trame imitait la moire, tant il y avait de souplesse et d’élasticité dans le tissu et le jeu des surfaces.

— Qu’est-ce cela ? dit le roi. — Regardez, sire. — Un gilet, ce me semble ? — Mais oui, sire. — Un gilet qui ferme jusqu’au cou. — Avec un petit collet destiné, comme vous le voyez, à doubler le col de la veste ou de la cravate.

Le roi prit le gilet dans ses mains et l’examina curieusement.

La reine, voyant cette bienveillante attention, était pénétrée de joie.

Le roi lui semblait compter avec bonheur chacune des mailles de ce réseau merveilleux qui ondulait sous ses doigts avec la malléabilité d’un tricot de laine.

— Mais, dit-il, c’est là de l’admirable acier. — N’est-ce pas, sire ? — Et un travail miraculeux. — N’est-ce pas ? — Je ne sais vraiment pas où vous avez pu vous procurer cela. — Je l’ai acheté hier soir d’un homme qui depuis longtemps me l’avait offert pour le cas où vous iriez en campagne. — C’est admirable ! admirable ! dit le roi, examinant en artiste. — Et cela doit aller comme un gilet de votre tailleur, sire. — Oh ! croyez-vous ? — Essayez.

Le roi ne dit mot ; il défit lui-même son habit violet.

La reine tremblait de joie ; elle aida Louis XVI à déposer les ordres, et madame Campan le reste.

Cependant le roi ôtait lui-même son épée. Quiconque à ce moment eût contemplé la figure de la reine l’eût vue illuminée d’une de ces triomphales clartés que reflète la félicité suprême.

Le roi se laissa dépouiller de sa cravate sous laquelle les mains délicates de la reine glissèrent le col d’acier.

Puis Marie-Antoinette elle-même attacha les agrafes de ce corselet qui prenait admirablement la forme du corps, couvrait les entournures, doublé partout d’une fine buffleterie destinée à amortir la pression de l’acier sur les chairs.

Ce gilet descendait plus bas qu’une cuirasse, il défendait tout le corps.

Placées par-dessus, la veste et la chemise le couvraient complétement. Il n’augmentait pas d’une demi-ligne l’épaisseur du corps. Il permettait les gestes sans amener aucune gêne.

— Est-ce bien pesant ? dit la reine. — Non. — Voyez donc, mon roi, quelle merveille, n’est-ce pas ? dit la reine, en battant les mains, à madame Campan qui achevait de fermer les boutons des manches du roi.