Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/321

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Madame Campan manifesta sa joie tout aussi naïvement que la reine.

— J’ai sauvé mon roi ! s’écria Marie-Antoinette. Cette cuirasse invisible, essayez-la, placez-la sur une table, essayez de l’entamer avec un couteau, essayez de la trouer avec une balle, essayez ! essayez ! — Oh ! fit le roi avec un air de doute. — Essayez ! répéta-t-elle dans son enthousiasme. — Je le ferais volontiers par curiosité, dit le roi. — Ne le faites pas, c’est inutile, sire. — Comment, il est inutile que je vous prouve l’excellence de votre merveille ? — Ah ! que voilà les hommes ! croyez-vous que j’eusse ajouté foi aux témoignages d’un autre, d’un indifférent, lorsqu’il s’agit de la vie de mon époux, du salut de la France ? — Il me semble pourtant que c’est là ce que vous avez fait, Antoinette, vous avez ajouté foi.

Elle secoua la tête avec une obstination charmante.

— Demandez, fit-elle en désignant la femme qui était là, demandez à cette bonne Campan ce qu’elle et moi nous avons fait ce matin. — Quoi donc ? mon Dieu ! demanda le roi tout intrigué. — Ce matin, que dis-je, cette nuit, comme deux folles, nous avons éloigné tout le service, et nous nous sommes enfermées dans sa chambre, à elle, qui est reculée au fond du dernier corps de logis des pages ; or, les pages sont partis hier soir pour les logements à Rambouillet. Nous nous sommes assuré que personne ne pouvait nous surprendre avant que nous eussions effectué notre projet. — Mon Dieu ! mais vous m’effrayez véritablement. Quels desseins avaient donc ces deux Judith ? — Judith fit moins, dit la reine ; moins de bruit, surtout. Sauf cela, la comparaison serait merveilleuse. Campan tenait le sac qui renfermait ce plastron ; moi, je portais un long couteau de chasse allemand de mon père, cette lame infaillible qui tua tant de sangliers. — Judith ! toujours Judith ! s’écria le roi en riant. — Oh ! Judith n’avait pas ce lourd pistolet que j’ai pris à vos armes et que j’ai fait charger par Weber. — Un pistolet ! — Sans doute. Il fallait nous voir dans la nuit, peureuses, troublées au moindre bruit, nous dérobant aux indiscrets, filant comme deux souris gourmandes par les corridors déserts. Campan ferma trois portes, matelassa la dernière ; nous accrochâmes le plastron au mur sur le mannequin qui sert à étendre mes robes ; et moi, d’une main solide, je vous jure, j’appliquai un coup de couteau à la cuirasse ; la lame plia, bondit hors de mes mains, et alla se ficher dans le parquet, à notre grande épouvante. — Peste ! fit le roi. — Attendez. — Pas de trou ? demanda Louis XVI. — Attendez, vous dis-je. Campan ramassa la lame et me dit : « Vous n’êtes pas assez forte, Madame, et votre main tremblait peut-être ; moi, je serai plus robuste, vous allez voir. » Elle saisit donc le couteau et en bourra au mannequin fixé sur le mur un coup tellement bien appliqué, que ma pauvre lame