Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/349

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Les grilles s’ouvrirent, les postes se précipitèrent au-devant du roi avec mille cris d’enthousiasme. Le carrosse retentit avec éclat sur le pavé de la grande cour.

Éblouie, ravie, fascinée, ivre de tout ce qu’elle avait éprouvé, de tout ce qu’elle ressentait de nouveau, la reine se précipita par les degrés au-devant du roi.

Louis XVI, descendu de voiture, montait l’escalier le plus rapidement possible au milieu de ses officiers, tout remués par les événements et leur triomphe ; tandis qu’en bas, les gardes, mêlés sans façon aux palfreniers et aux écuyers, arrachaient des carrosses et des harnais toutes les cocardes que l’enthousiasme des Parisiens y avait plantées. Le roi et la reine se rencontrèrent sur un palier de marbre. La reine, avec un cri de joie et d’amour, étreignit son époux à plusieurs reprises. Elle sanglotait, comme si le retrouvant elle avait cru ne jamais le revoir.

Tout entière à ce mouvement d’un cœur trop plein, elle ne vit pas le serrement de main silencieux que Charny et Andrée venaient d’échanger dans l’ombre.

Ce n’était rien qu’un serrement de main, mais Andrée était la première au bas des marches : c’était elle que Charny avait vue et touchée la première.

La reine, après avoir présenté ses enfants au roi, les fit embrasser à Louis XVI, et alors le dauphin, voyant au chapeau de son père la nouvelle cocarde sur laquelle les flambeaux projetaient une sanglante lumière, s’écria dans son étonnement enfantin :

— Tiens, papa ! qu’avez-vous donc à votre cocarde, du sang ? C’était le rouge national.

La reine avec un cri regarda à son tour.

Le roi baissa la tête pour embrasser sa fille, en réalité pour cacher sa honte.

Marie-Antoinette arracha cette cocarde avec un profond dégoût, sans voir, la noble furieuse, qu’elle blessait au cœur cette nation, qui saurait se venger un jour.

— Jetez cela. Monsieur, dit-elle, jetez cela ! Et elle lança par les degrés cette cocarde, sur laquelle passèrent les pieds de toute l’escorte qui conduisait le roi dans ses appartements.

Cette étrange transition avait éteint chez la reine tout l’enthousiasme conjugal. Elle chercha des yeux, mais sans paraître le chercher, monsieur de Charny, qui se tenait à son rang comme un soldat,

— Je vous remercie. Monsieur, lui dit-elle, lorsque leurs regards se furent rencontrés, après plusieurs secondes d’hésitation de la part du