Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

leurs supplications, leur agonie non moins douloureuse que celle du patient, se perd, s’éteint, se confond dans le rire universel qui accueille cette seconde chute.

Bailly et Lafayette, ces souverains arbitres trois jours auparavant de la volonté de six cent mille Parisiens, aujourd’hui, l’enfant même ne les écoute plus. On murmure ; ils gênent, ils interrompent le spectacle.

Billot leur a inutilement prêté le concours de sa vigueur ; le robuste athlète a renversé vingt hommes, mais pour pénétrer jusqu’à Foulon il lui faudrait en renverser cinquante, cent, deux cents, et il est au bout de ses forces ; et lorsqu’il s’arrête pour essuyer la sueur et le sang qui coulent de son front, Foulon s’élève une troisième fois jusqu’à la poulie du réverbère.

Cette fois on a eu pitié de lui, on a trouvé une corde neuve.

Enfin, le condamné est mort. La victime ne souffre plus.

Une demi-minute a suffi à la foule pour constater que l’étincelle de vie était éteinte. Maintenant le tigre a tué, il peut dévorer.

Le cadavre, précipité du haut de la lanterne, ne toucha même pas à la terre. Il fut mis en pièces auparavant.

La tête fut séparée du tronc en une seconde, et élevée en une seconde au bout d’une pique. C’était fort la mode à cette époque de porter ainsi la tête de ses ennemis.

À ce spectacle, Bailly fut épouvanté. Cette tête, c’était pour lui la Méduse antique.

Lafayette, pâle, l’épée à la main, écartait de lui avec dégoût les gardes, qui essayaient de s’excuser d’avoir été les moins forts.

Billot, trépignant de colère et ruant à droite et à gauche, comme un de ses fougueux chevaux du Perche, rentra à l’hôtel de ville pour ne plus rien voir de ce qui se passait sur cette place ensanglantée.

Quant à Pitou, sa fougue de vengeance populaire s’était changée en un mouvement convulsif, et il avait gagné la berge de la rivière, où il fermait les yeux et se bouchait les oreilles pour ne plus voir et ne plus entendre.

La consternation régnait à l’hôtel de ville ; les électeurs commençaient à comprendre qu’ils ne dirigeraient jamais les mouvements du peuple que dans le sens qui conviendrait au peuple.

Tout à coup, pendant que les furieux s’amusent à traîner dans le ruisseau le corps décapité de Foulon, un nouveau cri, un nouveau tonnerre roule par delà les ponts.

Un courrier se précipite. La nouvelle qu’il apporte, la foule la sait déjà. Elle l’a devinée sur l’indication de ses plus habiles meneurs, comme la meute qui prend la trace d’après l’inspiration du plus exercé des limiers.