Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/363

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La foule s’empresse autour du courrier, qu’elle enveloppe ; elle sent qu’il a touché une nouvelle proie ; elle flaire qu’il vient parler de monsieur Berthier.

C’était vrai.

Interrogé par dix mille bouches à la fois, le courrier est forcé de répondre :

— Monsieur Berthier de Savigny a été arrêté à Compiègne.

Puis il pénètre dans l’Hôtel de ville, où il annonce la même chose à Lafayette et à Bailly.

— Bien, bien, je le savais, dit Lafayette. — Nous le savions, dit Bailly, et les ordres sont donnés pour qu’il soit gardé là. — Gardé là ? répète le courrier. — Sans doute, j’ai envoyé deux commissaires avec une escorte. — Une escorte de deux cent cinquante hommes, n’est-ce pas ? dit un électeur : c’est plus que suffisant. — Messieurs, dit le courrier, voici justement ce que je viens vous dire ; l’escorte a été dispersée et le prisonnier enlevé par la multitude. — Enlevé ! s’écrie Lafayette. L’escorte s’est laissé enlever son prisonnier ? — Ne l’accusez pas, général, tout ce qu’elle a pu faire, elle l’a fait. — Mais monsieur Berthier ? demanda avec anxiété Bailly. — On l’amène à Paris, dit le courrier, et il est au Bourget en ce moment. — Mais s’il vient jusqu’ici, s’écria Billot, il est perdu ! — Vite ! vite ! s’écria Lafayette, cinq cents hommes au Bourget. Que les commissaires et monsieur Berthier s’y arrêtent, qu’ils y couchent ; pendant la nuit nous aviserons. — Mais qui osera se charger de cette commission ? dit le courrier, qui regardait avec terreur par la fenêtre cette mer houleuse dont chaque flot jetait son cri de mort. — Moi ! s’écria Billot, celui-là je le sauverai. — Mais vous y périrez, s’écria le courrier, la route est noire de monde. — Je pars, dit le fermier. — Inutile, murmura Bailly, qui venait de prêter l’oreille. Écoutez ! Écoutez !

Alors on entendit du côté de la porte Saint-Martin un bruit pareil au rugissement de la mer sur les galets.

Ce bruit furieux s’échappait par-dessus les maisons, comme la vapeur bouillonnante s’échappe par-dessus les bords d’un vase.

— Trop tard ! dit Lafayette. — Ils viennent ! ils viennent ! murmura le courrier ; les entendez-vous ? — Un régiment ! un régiment ! cria Lafayette, avec cette généreuse folie de l’humanité qui était le côté brillant de son caractère. — Eh ! mordieu ! s’écria Bailly, qui jurait pour la première fois peut-être, oubliez-vous que notre armée, à nous, c’est justement cette foule que vous voulez combattre ?

Et il cacha son visage entre ses mains.

Les cris qu’on avait entendus au loin s’étaient communiqués, de la