Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/384

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peu, mon ami ; reste avec moi. Billot. — Mais pourquoi faire, si nous n’empêchons pas le mal ? — Billot, souviens-toi de ne jamais répéter ce mot-là, car je t’estimerais moins. Tu as reçu des coups de pied, des coups de poing, des coups de crosse et même des coups de baïonnette, quand tu as voulu sauver Foulon et Berthier ? — Oui, et même beaucoup, répondit le fermier en passant la main sur ses membres encore endoloris. — Moi, j’ai eu l’œil presque enfoncé, dit Pitou. — Et tout cela pour rien, ajouta Billot. — Eh bien ! mes enfants, si, au lieu d’être dix, quinze, vingt de votre courage, vous eussiez été cent, deux cents, trois cents, vous arrachiez le malheureux à l’effroyable mort qu’on lui a faite ; vous épargniez une tache à la nation. Voilà pourquoi, au lieu de partir pour les campagnes, qui sont assez calmes, voilà pourquoi, Billot, j’exige, autant que je puis exiger quelque chose de vous, mon ami, que vous demeuriez à Paris, pour que j’aie sous la main un bras solide, un cœur droit ; pour que j’essaie mon esprit et mon œuvre sur la loyale pierre de touche de votre bon sens et de votre pur patriotisme ; pour qu’eniin répandant, non pas de l’or puisque nous n’en avons pas, mais l’amour de la patrie et du bien public, tu sois mon agent près d’une foule de malheureux égarés, pour que tu sois mon bâton quand j’aurai glissé, mon bâton quand j’aurai à frapper. — Un chien d’aveugle, dit Billot avec une simplicité sublime. — Justement, fit Gilbert du même ton. — Eh bien ! j’accepte, dit Billot ; je serai ce que vous demandez. — Je sais que tu abandonnes tout, fortune, femme, enfants, bonheur, Billot ! mais ce ne sera pas pour longtemps, sois tranquille. — Et moi, demanda Pitou, que ferais-je ? — Toi, dit Gilbert en regardant le naïf et robuste enfant, peu fanfaron d’intelligence ; toi, tu retourneras à Pisseleux consoler la famille de Billot, et expliquer la sainte mission qu’il a entreprise. — À l’instant, dit Pitou tressaillant de joie à l’idée de retourner près de Catherine. — Billot, dit Gilbert, donnez-lui vos instructions. — Les voici, dit Billot. — J’écoute. — Catherine est nommée par moi maîtresse de la maison. Tu entends ? — Et madame Billot ? fit Pitou, un peu surpris de ce passe-droit fait à la mère en faveur de la fille. —

— Pitou, dit Gilbert, qui avait saisi l’idée de Billot à la vue d’une légère rougeur montée au front du père de famille, rappelle-toi ce proverbe arabe : Entendre, c’est obéir.

Pitou rougit à son tour ; il avait presque compris et senti son indiscrétion.

— Catherine est l’esprit de la famille, dit Billot sans façon, pour ponctuer sa pensée.

Gilbert s’inclina en signe d’assentiment.

— Est-ce tout ? demanda l’enfant. — Pour moi, oui, dit Billot. —